Serge Debono tente d’imposer un système mobile d’activités de plein air pour enfants, mettant en valeur l’esprit et les techniques de l’Accrobranche. Un concept novateur dans le royaume que ce Grenoblois d’origine souhaite aujourd’hui élargir à d’autres pratiques sportives montagnardes.
L’histoire commence en 2010. Avec toute sa petite tribu sous le bras, Serge Debono fait le pari de s’installer à Bangkok pour permettre à son épouse américaine de profiter d’une opportunité professionnelle au sein de l’Unesco. « Je me suis donc retrouvé de façon permanente à la maison à m’occuper de mes enfants, sans trouver aucune activité sportive originale de plein air à leur proposer, explique cet ancien lieutenant-colonel chargé de l’armement au sein du ministère de la Défense. A l’exception des installations basiques pour enfants situées dans les espaces verts de la ville, aucune autre alternative n’existe vraiment ici. » Soucieux de développer l’autonomie, le goût de l’effort et l’esprit d’équipe de ses jeunes troupes, et après avoir bataillé longuement pour tenter de trouver un poste dans sa branche, il décide de jeter l’éponge et de partir suivre une formation d’Accrobranche en France durant les vacances scolaires, histoire de lier l’utile à l’agréable. « Comme ce sport a toujours piqué ma curiosité, je voulais voir ce qu’il était réellement possible de faire en termes de construction, de pratique de la discipline, de sécurité, mais aussi de respect de l’environnement. » Résultat ? Un mois de formation à Avoriaz et une grande tournée sur une trentaine de parcs du genre qui lui a permis de mieux appréhender les possibilités d’adaptation dans le royaume. Mais aussi et surtout un véritable coup de foudre pour cette forme de déambulation en hauteur. « J’ai eu surtout l’occasion de rencontrer les acteurs principaux de la discipline en France dont l’expérience m’a beaucoup aidé à mûrir mon projet sur le sol thaïlandais. »
La grande débrouille
Dès son retour, il commence à bricoler un premier prototype dans son jardin. « J’ai d’abord travaillé sur une installation de parc pliable très simple début 2012. Ma première dépense ? 500 bahts de taxi quand j’ai utilisé mes faibles connaissances en thaï pour demander au chauffeur de me trouver un endroit où l’on coupe du bois dans Bangkok. Après un long moment passé dans la voiture, j’ai enfin trouvé une usine avec laquelle je travaille toujours aujourd’hui. Ensuite, j’ai recommencé la même chose pour trouver une usine de découpage d’acier. Cette technique de recherche s’est avérée beaucoup plus productive que celles effectuées sur internet ! », se souvient-il avec humour. Fort d’un diplôme d’Ingénieur et d’un Master en architecture navale, il n’a aucune difficulté à faire sortir de terre un premier dispositif montable et démontable à souhait. « Cela a abouti à un parc de trois poteaux avec sécurité automatique entre les différents arbres de mon jardin. Mes enfants et leurs copains ont adoré, leurs parents aussi. Beaucoup ont même demandé à revenir, alors j’ai décidé de me lancer. »
Une poignée d’avalanche de hasards, de bagou et de coups de pouce du sort plus tard, il réussit à signer un partenariat avec la compagnie pétrolière PTT. Un partenaire précieux qui lui permet de construire d’autres prototypes de plus grandes tailles et de hauteurs différentes, bien mieux adaptés à chaque tranche d’âge de ses petits « accrobranchés » en herbe. Des installations mobiles variant de 60 à 170 cm qu’il peut déplacer à volonté sur la carte du pays. « Aujourd’hui, je fais quelque chose que j’aime vraiment. Même si je n’ai aucune certitude sur la pérennité et la réussite de ce projet, j’y crois sincèrement. »
Pédagogie aérienne
Pour lui, faire évoluer ses jeunes soldats d’arbre en arbre est bien plus qu’une simple activité de plein air. « Quand j’ai fait ma formation en France pour obtenir un diplôme certifié d’opérateur accrobranche, j’ai pu mieux cerner tout l’intérêt du concept pour favoriser l’épanouissement des enfants », dit-il. Et notamment comme un moyen pour permettre la transmission des valeurs essentielles en lesquelles il croit profondément. En résumé : développement de l’esprit d’équipe, du goût pour le dépassement de soi et de ses peurs. Mais aussi, dextérité, réflexion et maîtrise de ses angoisses. Son but ? Permettre aux plus jeunes de faire chaque jour un pas de plus vers l’autonomie, de branche en branche. Mais il a aussi pour sacerdoce de mettre en valeur l’écologie, le respect de l’environnement, des arbres mais également des autres. Voilà pour sa vision « philosophique » des choses. Mais Quid de la sécurité ? « Je suis très à cheval sur ce point, que j’ai eu longuement l’occasion d’étudier lors de ma formation en France. Certains parents me demandent régulièrement si le parc est dangereux. Pas du tout, car il est équipé de deux systèmes de sécurité entièrement automatiques. Les enfants ne peuvent pas se décrocher mais conservent quand même un maximum de liberté pour évoluer en hauteur tout en restant en interaction permanente avec les adultes restés au sol. Et moi je peux ainsi dormir tranquille… »
Son parc serait, selon lui, bien plus sécuritaire que la majorité des aires de jeux thaïlandaises sur lesquelles les enfants peuvent facilement chuter de deux mètres avec un seul et unique « pseudo dispositif amortissant » pour limiter les éventuels bobos. « Il est une chose importante que je souhaite enseigner aux enfants à travers des activités dites extrêmes. Où se trouve vraiment le danger ? Comment l’identifier et y faire face en prenant les mesures adéquates ? »
Pourtant, le challenge n’en demeure pas moins difficile. D’abord pour des raisons tarifaires. Car même s’il tente chaque jour un peu plus de tirer sur les prix pour démocratiser son concept, notamment en utilisant des bois moins nobles et en simplifiant au maximum les plans de construction de ses installations, il a beaucoup de mal à trouver ici une équipe de professionnels vraiment qualifiés, prêts à travailler à moindre coût. Et comme il ne veut pas faire quelque concession que ce soit sur la sécurité, il se doit toujours d’importer beaucoup de matériaux en provenance d’Europe. Résultat ? Des prix de location journalière allant de 8000 à 20 000 bahts. Autant dire pas vraiment pour tous. « Je m’adresse donc à une très mince partie de la population thaïlandaise. Pour l’instant, c’est une niche commerciale. De plus, cette discipline étant peu ou pas du tout connue, ni en vogue dans le pays, je pars au final de zéro. Je dois donc jouer sur les deux tableaux : promotion du sport et tentative de démocratisation via la réduction des coûts de production. Tout cela relève encore du vrai casse-tête chinois ! Mais j’y crois…», martèle Serge Debono.
Des projets plein la tête
Mettre en place des pistes de ski « indoor », pourquoi pas de la spéléologie, mais aussi de la voile avec des cours de dériveurs en piscine : le Grenoblois ne manque pas de projets. « Mon but est avant tout d’enseigner une technique et les valeurs sportives qui vont avec, peu importe le lieu, l’endroit ou la forme. S’il faut investir les shopping malls pour cela, pas de problème. Je veux convertir les Thaïlandais aux joies des sports de montagne, qu’ils soient d’eau, de glace, de neige, sur ou sous terre. »
Dans un premier temps, il opte pour ce que lui dicte la voie de la sagesse, soit la consolidation de son activité actuelle d’initiateur « accrobranché ». Sa devise ? Consolider les acquis pour mieux avancer, pas à pas, et parvenir à faire des citoyens du royaume de vrais « addicts ». Son concept global ne peut être breveté, mais il a développé des solutions originales et très efficaces pour rendre le montage et démontage « easy as ABC » qui, elles, sont en phase de brevetage.
Olivia Corre