London Escorts sunderland escorts
Home Accueil Tatouages sacrés entre tradition et dérives

Tatouages sacrés entre tradition et dérives

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 05/06/2013
0

En Asie du Sud-Est, bouddhisme, superstitions et pratiques mystiques cohabitent en toute quiétude. Parmi elles, les sak yant, tatouages sacrés aux pouvoirs magiques et protecteurs. C’est en Thaïlande que cet art millénaire est le plus vivace. René Drouyer, un photographe breton installé à Bangkok, vient d’y consacrer un livre. Décryptage des rouages d’un rituel ancestral pourtant si contemporain.

 

Installé depuis quatre ans à Bangkok, l’hyperactif René Drouyer ne cesse de voyager pour s’en mettre plein les yeux et l’objectif. Une passion qui a débouché sur la publication d’un livre sur la culture du tatouage sacré, particulièrement ancré au sein de multiples sociétés des pays de la zone. « Au départ, j’ai commencé à m’y pencher par pur esthétisme visuel. Mais je me suis vite rendu compte que, derrière, il y avait tout un monde qui valait bien plus que quelques clichés. »

 

Thai Magic Tattoo, the Influence of Sak Yant n’a rien à voir avec les livres d’images légendées à feuilleter rapidement et qui en disent très peu sur le fond du sujet, pourtant si complexe.
René Drouyer, lui, a décidé de s’entourer des meilleurs spécialistes du genre. Mais aussi de questionner longuement les citoyens de la région sur leur vision des choses. Avec son épouse Isabel, détentrice d’un Master en histoire de l’art, ils ont creusé et creusé encore pour dégoter le moindre indice, la moindre piste leur permettant de percer les origines de cet art spirituel. Trois ans de travail entre Thaïlande, Cambodge, Laos, Malaisie et Singapour durant lequel ils ont été amenés à s’entretenir avec dix des maîtres tatoueurs les plus reconnus et respectés de la région et une cinquantaine de porteurs de sak yant (sak signifiant « tatouer » et yant « prière religieuse »). L’ouvrage, très bien documenté, révèle bien des aspects de la société thaïlandaise contemporaine. « C’est en Thaïlande que cette pratique artistique traditionnelle est la plus vivace, alors qu’il s’agit de l’un des pays les plus modernes de la région, révèle René Drouyer. Bien plus qu’ailleurs, elle fait partie intégrante du quotidien des habitants. Que ce soit à Bangkok, Phuket, Pattaya, Ayutthaya ou Chiang Mai, les Thaïlandais cultivent la culture des sak yant aussi naturellement qu’ils font pousser le riz. »

 

D’abord parce que la Thaïlande, contrairement à ses voisins, n’a jamais été sous domination étrangère et n’a donc pas eu à faire les frais d’une guerre. Ici, ni régime à la sauce Polpot, ni dictateurs, ni colons occidentaux. Une relative quiétude qui a permis à ce peuple de conserver presque intact son patrimoine culturel et ses traditions. Ensuite, et surtout, parce que le bouddhisme Theravada, pratiqué par 95% de la population, a la particularité d’avoir intégré de nombreuses pratiques hindouistes et animistes. « A la cour royale par exemple, les rituels ont toujours été dirigés par les brahmanes, des prêtres hindous qui étaient et sont toujours vénérés pour leurs connaissances pointues en termes de sciences ésotériques, et plus spécifiquement celles relevant de l’astrologie. »

 

Ainsi, les Thaïlandais porteurs de sak yant verraient dans les tatouages magiques un bon moyen pour accéder plus facilement au bonheur, à la santé, à la chance et tenir tête aux démons malveillants. Nombreux sont ceux qui pensent que ces tatouages sont réservés aux délinquants, aux mafieux, aux soldats et aux « mauvaises filles ». A tort. « Nous ne savons pas qui nous tatouons. Mais peu importe puisque de toute façon, les tatouages ne fonctionnent pas si ceux qui les portent font du mal aux autres », précise Seksan, l’un des bonzes officiant au Wat Bang Phra, un temple situé dans la province de Nakhon Pathom, célèbre pour son festival annuel dédié aux tatouages magiques (voir encadré). S’il est vrai qu’il y a 150 ans, les tatouages étaient uniquement réservés aux soldats qui leur attribuaient des pouvoirs protecteurs et d’invincibilité, ils tendent aujourd’hui à se répandre dans l’ensemble des couches sociales, retrouvant ainsi leurs lettres de noblesse. « Le sak yant se retrouve le plus souvent au sein des classes populaires du pays, puisque historiquement lié aux milieux ruraux », précise toutefois René Drouyer.

 

Ainsi, les Thaïlandais qui se font tatouer sont-ils, dans leur grande majorité, profondément persuadés des pouvoirs magiques et protecteurs des sak yant. « Les gens font encore preuve d’une grande foi et d’une vénération sans nom pour les communautés monastiques, insiste René Drouyer. Les bonzes y tiennent toujours une place majeure. Notamment en matière d’étude et de traduction des textes bouddhiques classiques du pali au thaï moderne. Donc en harmonie avec d’anciennes croyances liées aux esprits et aux amulettes protectrices. » Même chose du côté des tatoueurs « civils ». La grande majorité d’entre eux jouent même un rôle social majeur au sein de leur communauté, si petite soit-elle. « Ils s’investissent beaucoup à travers des actes de prévention ou d’éducation des plus jeunes par exemple, note le photographe. Ce ne sont pas des citoyens lambda se contentant seulement de tatouer le dos des gens, ils sont très respectés de tous. Ceux que j’ai rencontrés étaient à la fois cultivés, spirituels et soucieux d’améliorer les conditions de vie de chacun. » C’est dans ce contexte que les vieilles pratiques ont aujourd’hui plus que jamais le vent en poupe dans le pays. « N’oublions pas non plus que le bouddhisme est l’une des forces les plus cohésives de stabilisation de la société thaïlandaise », ajoute-t-il.

 

Avec le développement économique et les migrations vers le milieu urbain, les rituels animistes comme le sak yant ont suivi. Si bien qu’aujourd’hui, « la frontière entre croyances rurales et citadines s’estompe, reprend René Drouyer. Du coup, la nouvelle élite et les classes riches ont maintenant une vision plus large de la religion. Elles voient même en ce rituel animiste quelque chose de complémentaire ». Ainsi, il n’est pas rare aujourd’hui de voir des hommes d’affaires ou des politiciens en porter un. Seules l’aristocratie et la haute bourgeoisie restent toujours réticentes. « Cela s’explique par leur pratique d’un courant bien plus orthodoxe du bouddhisme Theravada, où les croyances animistes ne semblent pas trouver leur place, pense le photographe français. On peut quand même noter une légère évolution chez les plus jeunes, bien plus ouverts à ce genre de pratique. »

 

Entre tradition et dérives

 

Mais on se fait aussi tatouer pour s’attirer les bonnes grâces du dieu argent. Car les Thaïlandais se ruent sur ces tatouages sacrés en espérant voir leur vie tourner en « amour, gloire et beauté ». Interrogés sur leurs motivations, les intéressés répondent tous la même chose : richesse, réussite dans les affaires, prospérité et puissance. Mais aussi gains à la sacro-sainte loterie : « Parfois, je sens que mon tatouage se réveille, alors je le touche et pense qu’il va m’aider à deviner les numéros gagnants. Et ça marche puisque j’ai déjà gagné plusieurs fois », insiste Nichapaa, une femme de ménage résidant à Phuket.

 

Cette quadragénaire se rend chaque année au festival annuel du tatouage organisé au Wat Bang Phra pour y faire réactiver les pouvoirs de son sak yant par les bonzes. Et ce au prix de longues heures de bus. La chance et la fortune, voilà donc une bonne raison pour les Thaïlandais, particulièrement ceux venus d’Isan, l’une des régions les plus pauvres du pays, pour porter des sak yant. Les stars du Muay Thai (boxe thaïlandaise), souvent issues des classes pauvres et grands consommateurs de tatouages magiques, sont aussi un exemple pour les jeunes qui rêvent de devenir à leur tour des champions. Entre désir de ressembler à leurs héros ou pour s’identifier aux célébrités des magazines et des télés du royaume, bon nombre de jeunes optent désormais pour ce rituel magique. Alors que les tatouages à l’occidental qui leur plaisent tant ne sont pas à leur portée car trop onéreux, les sak yant sont devenus une sorte de bonne alternative .« Dans les monastères, une petite offrande suffit pour en obtenir un », constate René Drouyer. Beaucoup d‘entre eux se rendent au sein du fameux Wat Bang Phra. A la fois proche de la capitale et défiant toute concurrence, puisque les moines tatouent pour la modique somme de 50 bahts. Au point que le travail se fait à la chaîne ! Une démocratisation du tatouage qui tourne désormais en mouvement de mode, faisant du sak yant la victime de son propre succès au cœur de la capitale. Résultat ? Les « boîtes » à tatouages sacrés poussent comme des champignons aux quatre coins de la ville, mais aussi en province. Comme souvent, des commerçants ont sauté sur ce créneau, flairant la bonne affaire, oubliant au passage le respect des pratiques traditionnelles, des origines et la valeur de cet art. Des lieux où, bien souvent, la machine électrique a remplacé l’aiguille des maîtres du sak yant. « Les officines les plus sérieuses se font du même coup bien plus rares dans le royaume », déplore le co-auteur de Thai Magic Tattoo.

 

Mais il n’empêche que c’est en partie grâce ou à cause de ce phénomène que la discipline rencontre autant de succès. A tel point que les habitants des autres pays bouddhistes voisins se bousculent désormais au portillon dans le but de retrouver, ici, un brin des traditions passées chez eux aux oubliettes. « Beaucoup de Birmans sont devenus sceptiques quant à l’efficacité de leurs tatouages, un art qui a peu à peu disparu. Les plus croyants viennent en Thaïlande se faire tatouer », explique René Drouyer. Même chose pour les Cambodgiens et Laotiens qui ont vu leurs croyances voler en éclats suite aux conflits et au communisme. Sur un tout autre registre, il y a aussi l’effet Angelina Jolie. L’actrice américaine n’en finit plus de se répandre en éloges sur les bienfaits des sak yant dans les médias du monde entier. Ne parlons pas non plus des farangs en mal d’exotisme qui, le plus souvent, n’ont pas la moindre idée de ce que peut bien vouloir dire ou représenter le petit graffiti indélébile qu’ils viennent de se faire poser sur la nuque ou sur l’épaule.

 

Un engouement si récent et démesuré qui ne cesse de susciter le débat dans le pays. Certains observateurs, religieux ou non, en dénoncent les dérives financières et commerciales, pointant du doigt les grands événements aujourd’hui organisés sur ce thème aux quatre coins du royaume. Les accusations portent surtout sur l’entretien de la course à la renommée menée par certains temples, dont la presse relate parfois les scandales financiers auxquels ils sont étroitement liés. Pourtant, la tradition parvient malgré tout à tirer son épingle du jeu face à cette grande évolution des mœurs. Car la pratique de ce rituel s’inscrit aussi dans un grand mouvement de vulgarisation des textes sacrés. Le tatouage continue de véhiculer les valeurs défendues par les autorités religieuses du pays. Et si des critiques se font entendre ici et là, rares sont celles qui touchent aux fondamentaux des croyances. L’honneur est donc sauf. L’art du sak yant a plus que jamais de beaux jours devant lui en Thaïlande. De même pour bon nombre de superstitions liées aux amulettes magiques, aux fantômes, aux guérisseurs ou aux sorcières de fortune.

O.C.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Les plus lus