Leurs noms sont presque identiques, toutes deux placent l’art contemporain au coeur de leurs manifestations et font appel à des artistes internationaux. Pourtant, la Bangkok Art Biennale et la Bangkok Biennial sont très différentes. Comment s’y retrouver ? Pourquoi deux biennales ? Quels en sont les événements incontournables ?
« C’était le moment d’en organiser une », résume un des organisateurs de la Bangkok Biennal. Malgré une scène artistique dynamique, la capitale thaïlandaise n’avait encore jamais accueilli d’événement d’art contemporain de cette ampleur.
La principale différence entre les deux biennales concerne la renommée des artistes invités et par conséquent les moyens dont elles disposent. Le directeur de la Bangkok Art biennale, qui se déroulera du 19 octobre 2018 au 2 février 2019, n’est autre que Apinan Poshyananda, le secrétaire permanent du ministère de la Culture. Dotés d’un budget conséquent, les organisateurs, des personnalités du monde culturel, ont ainsi pu inviter des artistes de renommée mondiale telle que Marina Abramovic ou encore Yayoi Kusama.
Les trois organisateurs de la Bangkok Biennial (du 1er juin au 30 septembre 2018), que l’on peut comparer à un festival « off », sont quant à eux artistes ou galeristes. Leur événement avait été programmé tout en ignorant qu’une biennale de plus grande ampleur allait être annoncée par la suite.
Leur but ? « Partager un art assez diversifié et en ébullition à Bangkok, mais difficile à voir en raison du manque d’espaces publics de la ville ». Pour éviter que le festival soit associé à leurs personnalités, les trois amis cachent leur identité. « Nous souhaitons garder la Bangkok Biennial le plus ouvert possible pour qu’un maximum d’artistes y participent, précise l’un d’entre eux. C’est le genre d’événement qui ne peut exister que si les artistes le souhaitent et sont réactifs », ajoute-t-il.
Deux peintres contemporains, Angkrit Ajchariyasophon et Mit Jai Inn, ont particulièrement promu l’événement et motivé des artistes de tous horizons à y participer. Le premier est propriétaire de la galerie Angkrit et a fait partie de la commission d’organisation de la Biennale de Singapour en 2013. Le second vit à Chiang Maï et expose ses oeuvres dans sa galerie bangkokoise, la Cartel Artspace.
Sans budget et avec des moyens de communication limités, les organisateurs de la « biennale off » ont ouvert une plateforme internet où tous les artistes intéressés ont été invités à s’inscrire. A eux de remplir leur biographie, les détails de leurs événements et d’établir des stratégies de communication pour attirer des visiteurs. En fait, les 250 artistes thaïlandais et étrangers inscrits bénéficient seulement du label « Bangkok Biennial » et de la plateforme, disponible en libre accès.
Galeries, rues, appartements, et même forêt : à chaque artiste de trouver sa place, à Bangkok ou ailleurs, comme dans le village de Mae Wang par exemple. Par souci d’organisation, les participants se sont regroupés en «pavillons », qui peuvent être un lieu à l’effigie de la galerie Speedy Grandma ou encore un programme, comme Hong Hub, imaginé par une résidence d’artistes de Bangkok Eponyme. « Bangkok Biennial présente une collection très éclectique d’arts et d’idées », résume l’organisateur.
La galerie Artist+Run expose ainsi les oeuvres de Tintin Cooper. L’artiste anglo-thaï utilise le collage pour donner une perspective aux photographies, comme si elles étaient en mouvement. Mike Rossi, quant à lui, a traduit des chansons célèbres telles que I will survive de Glory Gaynor dans plusieurs langues. Il a ensuite mélangé les paroles proposées par Google Traduction. Dans une même chanson, peut ainsi mélanger du russe, de l’espagnol et du thaï. Pour entendre et visionner les vidéos que l’artiste a réalisées, il faut se rendre au bar Karaoke888 et demander à chanter la composition.
Des artistes renommés à la Bangkok Art Biennale
La Bangkok Art Biennale accueille quant à elle des artistes plus célèbres. Marina Abramović, Yayoi Kusama (voir encadré) mais aussi l’Indonésien Heri Dono, l’Italien Paolo Canevari, ou encore Sakarin Krue-On. A 53 ans, cet artiste thaïlandais insiste sur la valeur des traditions de son pays comme la culture de riz ou les images bouddhiques avec des techniques artistes locales et occidentales de gravure, dessins ou encore sculpture.
Le sculpteur et vidéaste Paolo Canevari lui est connu pour ses installations et vidéos dérangeantes et esthétiques. A la biennale de Venise en 2007, les visiteurs pouvaient admirer une vidéo de dix minutes sur laquelle un jeune adulte jongle avec un crâne comme si c’était un ballon de football. Il se trouve dans un terrain vague, qui s’avère être l’ancien quartier général de l’armée serbe, bombardé par l’OTAN en 1999.
Les 75 artistes de la Bangkok Art Biennale ont été sélectionnés avec soin. Ils devront se plier au thème central « Beyond Bliss » (au delà de la joie). « Nous vivons dans un état de peur, de protestations et de désillusions. Nous invitons les artistes à commenter ce manque de joie, créé par les affrontements politiques, la maladie, la pollution et les migrations », a expliqué Apinan Poshyananda, le directeur artistique, lors de la cérémonie de présentation des artistes.
Contrairement à la Bangkok Biennial, la Bangkok Art Biennale se tiendra uniquement dans les lieux prestigieux ou touristiques de Bangkok : le long du fleuve Chao Phraya, dans les temples de la vieille ville, dont le Wat Pho, ou encore au Bangkok Art and Culture Center (BAAC) ou à Central Embassy.
Les biennales comme enjeux stratégiques
Si deux biennales se tiennent à Bangkok, une troisième aura lieu en Thaïlande cette année aussi, sous le nom de « Thailand Biennale ». Organisée par le ministère de la Culture, elle se tiendra à Krabi du 2 novembre 2018 au 28 février 2019. En plein air, 50 artistes auront pour mission d’allier art et nature, notamment Kamin Lertchaiprasert, l’artiste thaïlandais ayant remplacé toutes les publicités du BTS L’an dernier par ses oeuvres d’art.
Selon Vira Rojpojchanarat, le ministre de la Culture, avec ses plages paradisiaques, ses terres fertiles, son histoire architecturale et l’hospitalité de ses habitants, Krabi est une destination touristique de choix. Y créer une biennale d’art contemporain permet de l’utiliser comme une vitrine de la Thaïlande pour dynamiser le tourisme et accroître le rayonnement du pays.
D’ailleurs, depuis trente ans, les biennales se multiplient. La première, vénitienne, a été créée en 1895 pour relancer la croissance économique. A la fin du XXe siècle, seules trois biennales sont célèbres : celles de Venise, Paris et Sao Paulo. Depuis, une centaine de villes ont créé la leur. En Asie, les biennales de Shanghaï, Pékin, Singapour ou Gwangju se font concurrence. Sans parler de celles de Sidney ou encore Taïpei.
« Une trentaine d’entre elles sont vraiment intéressantes et une dizaine, indispensables », résumait Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo à Paris dans Le Figaro en 2014. Pour analyser ce phénomène grandissant, la journaliste Valérie Duponchelle parle d’une « bataille mondiale » puisque « la cote des biennales monte et descend selon les éditions, le programme, le choix des artistes, leurs commissaires et la mode aussi ».
Si les biennales d’art contemporain semblent être devenues un enjeu de soft power important, l’universitaire In-Young Lim décrivait dans un ouvrage paru en 2007 ce qu’elle perçoit comme une « homogénéisation de l’art contemporain ». Selon elle « de plus en plus de critiques reprochent aux biennales de se contenter souvent de présenter les mêmes artistes, invités par les mêmes commissaires, exposant les mêmes oeuvres. »
En tout cas, les trois biennales organisées cette année dans le royaume ne se ressemblent pas. La Bangkok Art Biennale est celle qui collerait le plus avec l’homogénéisation décrite par In-Young Lim. Ses commissaires sont réputés, ses artistes internationaux.
La Bangkok Biennial paraît quant à elle se placer comme une alternative. Sans suivre la logique politique et économique, elle prône simple-ment la diversité de l’art, indépendamment du succès de son auteur. Un rôle que remplit toutefois la Thailand Biennale, qui peut être considérée comme l’illustration des enjeux économiques et politiques qui se cachent derrière une biennale : le rayonnement culturel et touristique.
Léa Surmaire (http://www.gavroche-thailande.com)
Article à retrouver dans le dernier Gavroche (août 2018), disponible ici
Photo : courtoisie Bangkok Biennial
Bangkok Art Biennale : bkkartbiennale.com
Bangkok Biennial : bangkokbiennial.com
Aussi disponible en Application Mobile sur Google Play et Itunes Store. Les événements sont souvent disponibles sur Facebook en suivant la page des pavillons concernés.
Thailand Biennale : thailandbiennale.org
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