Notre ami François Guilbert a suivi de près les élections thaïlandaises. Pour lui, c’est clair, Bangkok devrait réfléchir à changer de politique vis à vis de la Birmanie.
A l’heure où les électeurs thaïlandais s’apprêtaient à glisser dans les urnes leurs bulletins de vote, les citoyens birmans, eux, se préparaient à affronter les affres du cyclone Mocha. Si la menace sur le littoral de l’État Rakhine s’annonçait dévastatrice, le choix politique du Royaume voisin était attendu en Birmanie avec intérêt. La défaite électorale du général Prayut Chan-o-cha n’a pas été fêtée dans les rues de la République de l’Union du Myanmar mais elle a réjoui un grand nombre de Birmans. Le chef du gouvernement thaïlandais est perçu, en effet depuis deux ans, comme le plus disposé des dirigeants de l’ASEAN à soutenir la junte conduite par le général Min Aung Hlaing. Lors du sommet des dirigeants de l’Asie du Sud-Est sur l’ile de Flores, son ministre des Affaires étrangères s’est encore fait à la mi-mai le porte-parole d’une normalisation des relations avec le Conseil de l’administration de l’État (SAC), allant jusqu’à parler d’une convergence d’approche dans les projets de sortie de crise entre les 5 Points de consensus édictés par l’ASEAN et la Feuille de route en 5 points du SAC.
Le parti progressiste thaïlandais Move Forward (MFP), qui a remporté le plus de sièges à la Chambre des représentants, est observé avec attention, tant par les putschistes que par l’opposition démocratique. Il est vrai qu’il est le seul grand parti à prôner un changement significatif dans les relations extérieures du pays en général, et son approche de la Birmanie en particulier.
Si Bangkok se montre plus active sur la scène aseanienne et ouverte à se joindre aux (ex)pressions critiques de l’Indonésie et de Singapour, le SAC va se retrouver dans une position inconfortable comme jamais. Certes, il peut encore compter sur les chantres de non-ingérence dans les pays de la région et sur des bienveillants sur la scène politico-militaire thaïlandaise mais le général Min Aung Hlaing pourrait bien se voir confronter à une famille aseanienne plus critique voire unie contre lui.
S’il feint de pouvoir se passer des soutiens de l’Asie du Sud-Est, le commandant-en-chef des services de défense birman n’a pas renoncé pour autant à dialoguer avec le groupement du sud-est asiatique. Preuve s’il en fallait, le 4 mai puis le 9 mai, il a fait parvenir à ses leaders des missives expliquant ses efforts de paix et de réconciliation.
Ses arguments n’ont pas convaincu ses pairs aseaniens de changer de position à son endroit mais le contact n’est pas rompu. A l’inverse, les États borduriers de la Birmanie considèrent qu’il convient de poursuivre le dialogue avec la junte, faute de quoi la situation sera pire. Le concours du SAC est attendu des voisins pour lutter contre le crime organisé qui s’enracine dans les terroirs birmans, souvent d’ailleurs avec la bienveillance de cadres de la Tatmadaw, sans parler de ses affidés miliciens. Dans ce jeu politico-diplomatique au long cours, le numéro 1 de la Tatmadaw entend mettre à profit la gestion post-cyclonique Mocha pour démontrer la centralité de son gouvernement, sa maîtrise des accès aux territoires, sa disposition à coopérer avec l’ASEAN et ses riverains immédiats (Bangladesh, Inde, Chine, Thaïlande) dans le champ humanitaire et la poursuite de son action contre les « terroristes ». Or à chacun de ces chapitres, le SAC craint de devoir faire face à un gouvernement thaïlandais « entrant » bien moins disposé que celui en place depuis 2014.
Nay Pyi Taw a effectivement quelques soucis à se faire. Les propos tenus lors de la conférence de presse du 15 mai par Pita Limjaroenrat, le leader du MFP, ont confirmé les risques de voir la trajectoire de la diplomatie thaïlandaise changer. Le jeune leader à affirmer : « nous conduirons notre politique humanitaire en synergie avec le Burma Act adopté par le Congrès américain. Nous pouvons commencer ce travail avec la communauté internationale pour nous assurer que nous avons la bonne quantité de pression et d’incitations pour que les Birmans résolvent leur conflit ». Cette perspective de voir Bangkok agir en bonne synergie avec Washington sur le dossier birman, recourant autant que de besoin à la contrainte, n’a pas été relevé qu’à Nay Pyi Taw.
On peut penser que Pékin a lu également avec appréhension ces propos. En attendant de savoir ce qu’un tel rapprochement pourrait signifier pour la Chine,les premiers cercles du pouvoir militaire ont laissé filtrer leur colère. Si l’on en croit les propos rapportés par le journal Irrawaddy dans son édition du 22 mai, le numéro 2 de la Tatmadaw aurait accusé le MFP d’être « pro-occidental » et « pro-terroriste ». Prenant au sérieux ce nouveau péril, il aurait demandé un renforcement de la surveillance des frontières avec le Royaume et des activités de l’opposition. Le propos est si ambigu sur ce dernier point qu’il laisse à penser que le SAC pourrait se montrer contrecarrant sur le sol même de la Thaïlande par l’entremise de ses services de renseignement. Du côté de la junte, on se souvient que pendant des décennies la frontière de 2416 kilomètres fut bien poreuse à des actions de soutiens internationaux aux groupes ethniques armés.
Sur le plan politico-diplomatique, le SAC peut également craindre que la Thaïlande ouvre officiellement un dialogue avec les structures représentatives nées en réaction au coup d’Etat du 1er février 2021 puisque dans un tweet en birman du 21 mai Pita Limjaroenrat a fait savoir que ses « politiques sur la Birmanie impliqueront toutes les parties prenantes ». Or depuis deux ans, Bangkok est l’une des capitales de l’ASEAN qui s’est refusée à entretenir un dialogue avec le gouvernement de l’opposition démocratique (NUG). Il a même fait tout le contraire en se faisant le promoteur d’une plateforme d’échanges (track 1.5) entre des relais agréés du SAC et les ministères des Affaires étrangères des pays ayant une frontière commune avec la Birmanie. En attendant que le gouvernement émanant des élections du 14 mai prenne les rênes du pouvoir, le vice premier ministre Don Pramudwinai va certainement presser Vientiane pour que la troisième session du dialogue track 1.5 se tienne dès le mois juin afin de rendre plus coûteux politiquement à la région, l’abandon d’un format légitimant le pouvoir militaire en place à Nay Pyi Taw. Preuve que la politique thaïlandaise n’a pas encore changée, en début de semaine, des dizaines de travailleurs migrants birmans ont été arrêtés lors de descentes de police dans des usines de la ville frontalière de Mae Sot. Le cyclone Mocha donne aussi l’occasion au général Prayut Chan-o-cha de démontrer sa bienveillance vis-à-vis du SAC. Le 22 mai, il a reçu, au palais du gouvernement, l’ambassadeur de la junte pour lui remettre une donation. De nombreux acteurs thaïlandais se sont mobilisés pour venir en aide aux victimes (ex. Croix Rouge, Association d’amitié avec le Myanmar, Chambre de commerce de Thaïlande,…). Sous les auspices du roi et de la reine, deux C-130 de l’armée de l’air royale ont acheminé 35 tonnes de frets humanitaires jusqu’à Rangoun. Mais en dépit de son royal parrainage, le SAC s’est opposé à ce qu’il soit convoyé tout à l’ouest du pays, là où se trouve le plus grand nombre des victimes. Il s’agit pour la junte d’apparaître sur le terrain comme la seule à venir en aide aux populations. Une attitude militaire peu soucieuse du sort des individus, soulignant, ô combien, l’aide humanitaire est une arme de guerre.
Si l’État et la société civile de Thaïlande se sont mobilisés en faveur des sinistrés du cyclone Mocha, le secteur privé n’a pas manqué, lui aussi, à l’appel. Des dons ont été octroyés par des sociétés des secteurs de l’énergie (ex. PTT) ou de la construction (Siam Cement). Certes, ces entreprises ont des relations mercantiles avec la Birmanie mais plusieurs s’inquiètent des inflexions politico-diplomatiques évoquées par le MFP, d’autant que le parti progressiste entend disposer des principales fonctions régaliennes, premier ministre, ministres des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la Défense. Dans ce cas de figure, à Rangoun, les milieux d’affaires du Royaume espèrent que la coalition gouvernementale qui s’installera au pouvoir à Bangkok sera à même de compter des décideurs attentifs à la res economica. Pita Limjaroenrat a eu, lui-même, une expérience professionnelle dans le secteur privé (agriculture, transport) mais c’est du côté du Pheu Thai à qui pourraient être confiés les portefeuilles économiques que l’on semble s’en remettre. Toutefois, dans certains milieux d’affaires, on se plait à souhaiter la nomination de la fille de Thaksin Shinawatra, Paetongtarn Shinawatra, au poste de ministre des Affaires étrangères, son père ayant été comme dirigeant et homme d’affaires une personnalité attachée au développement des relations économiques bilatérales avec la Birmanie. Les milieux d’affaires thaïlandais s’émouvant des soutiens apportés par New Delhi et Pékin à leurs propres entrepreneurs, ils attendent du nouvel exécutif de Bangkok des soutiens pouvant faire la différence dans le jeu concurrentiel international.
Toute chose étant égale par ailleurs, au regard des incertitudes existantes encore dans la formation du nouveau gouvernement thaïlandais ; à ce stade, les Birmans favorables au changement se montrent prudents dans leurs expressions publiques. Ainsi, le président par intérim du NUG, Duwa Lashi La, s’est contentée en première réaction de tweeter « ses félicitations au peuple thaïlandais et aux partis politiques pour leurs succès aux élections générales de 2023 ». Une formulation bien timorée vis-à-vis de connivents à la Milk Tea Alliance, du leader charismatique du MFP qui affirme, plus que tout autre leader en Asie, ne pas vouloir se compromettre avec la junte du général Min Aung Hlaing. Mais si les attentes de l’opposition démocratique et ethnique sont réelles en matière de reconnaissance politico-diplomatique, d’aides transfrontalières, d’accueil de tous de ceux qui fuient la répression du SAC, les plus grandes, voire immédiates, relèveront, peut-être, de la politique économique intérieure thaïlandaise. Si le salaire minimum se voit relever, comme promis pendant la campagne électorale de Pita Limjaroenrat, de nombreux travailleurs migrants, tout au moins les légaux, y trouveront leur compte.
François Guibert
Papier intéressant première bonne nouvelle pour l’opposition Birmane. Les EU vont réactiver un peu plus les réseaux crise border de Chiang Mai