La Thaïlande s’est retrouvée au centre de vives critiques internationales cette semaine après l’expulsion d’au moins 40 Ouïghours vers la Chine, une décision justifiée par Bangkok comme l’application d’une obligation légale, mais perçue par de nombreux observateurs comme une violation des droits de l’homme.
Une décision controversée
La Première ministre Paetongtarn Shinawatra a expliqué que cette expulsion résultait de l’absence de pays tiers disposés à accueillir les réfugiés et du fait que Pékin avait présenté des preuves attestant de leur nationalité chinoise. Elle a souligné que ces Ouïghours, entrés illégalement en Thaïlande, avaient passé 11 ans en détention au centre pour immigrés clandestins de Bangkok, une situation qu’elle jugeait excessive.
Face aux critiques, Paetongtarn a insisté sur le respect du cadre légal, affirmant que la Thaïlande n’avait enfreint aucune loi internationale. Toutefois, la Haut-Commissaire adjointe du HCR, Ruvendrini Menikdiwela, a dénoncé cette expulsion, rappelant qu’elle violait le principe de non-refoulement et les engagements internationaux du pays. Le HCR a rappelé que la loi thaïlandaise, la Déclaration des droits de l’homme de l’ASEAN et la Déclaration universelle des droits de l’homme protègent le droit d’asile. De plus, la Commission des droits de l’homme du Sénat thaïlandais a souligné que cette décision contrevenait à la loi de 2022 sur la prévention et la répression de la torture, qui interdit toute expulsion vers un pays où les individus risquent la torture ou des traitements inhumains.
Un dilemme juridique
Le vice-Premier ministre et ministre de la Défense thaïlandais, Phumtham Wechayachai, a justifié l’expulsion en affirmant que maintenir ces personnes en détention aurait constitué une violation de la loi thaïlandaise contre la torture et les disparitions forcées. Il a qualifié l’expulsion de « meilleure solution » tout en promettant un suivi de leur situation en Chine.
Vives réactions internationales
Les États-Unis ont immédiatement condamné cette mesure. Le 27 février, le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a publié un communiqué exprimant son indignation : « Nous condamnons avec la plus grande fermeté le renvoi forcé par la Thaïlande d’au moins 40 Ouïghours vers la Chine, où ils n’ont pas droit à une procédure régulière et où les Ouïghours sont victimes de persécutions, de travail forcé et de tortures. »
Rubio a ajouté que cette expulsion pourrait constituer une violation des engagements internationaux de la Thaïlande en vertu de la Convention des Nations unies contre la torture et de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
L’Union européenne a également exprimé son profond regret, qualifiant cette expulsion de « violation du principe de non-refoulement et des obligations de la Thaïlande en tant que membre du Conseil des droits de l’homme ».
Garanties chinoises et enjeux diplomatiques
Concernant le sort des Ouïghours, Paetongtarn a assuré que la Chine s’était engagée à ne pas les poursuivre ni les interroger, et à les réunir avec leurs familles. Elle a affirmé que ces garanties avaient été obtenues lors de négociations entre Bangkok et Pékin, et que la Thaïlande n’aurait pas procédé à l’expulsion sans assurance sur leur sécurité. Pour illustrer ses propos, elle a partagé des images et des vidéos montrant les Ouïghours retrouvant leurs familles et a ajouté que des responsables thaïlandais pourraient vérifier leur situation dans le futur.
La Chine défend sa position
La Chine a fermement défendu le rapatriement de ces Ouïghours. Le ministère chinois de la Sécurité publique a déclaré que la Thaïlande avait expulsé ces « migrants illégaux » « conformément au droit international ». Lin Jian, porte-parole du ministère, a présenté cette mesure comme « une action concrète de coopération entre la Chine et la Thaïlande dans la lutte contre les crimes transfrontaliers ».
L’agence de presse Xinhua a rapporté que ces individus avaient été « trompés par des organisations criminelles » et retenus en Thaïlande, tandis que leurs familles en Chine avaient réclamé leur rapatriement.
Cette expulsion intervient dans un contexte diplomatique particulier, alors que la Thaïlande et la Chine célèbrent 50 ans de relations diplomatiques et coopèrent étroitement dans la lutte contre les réseaux criminels régionaux. Certains observateurs y voient un signe de l’influence croissante de Pékin sur Bangkok.
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