Une chronique siamoise et sociétale de Patrick Chesneau
Ça ressemble à un grand débarquement.
5 400 marins venus des États-Unis, composant l’équipage de quatre bâtiments estampillés USS Carl Vinson, ont jeté l’ancre pendant cinq jours dans le port de Laem Chabang. Navettes assurées vers tous les points d’intérêt touristique de la province de Chonburi. En fait, beaucoup des intrépides Yankees de ce contingent flottant ont décidé de faire relâche à Pattaya.
Des milliers de durs à cuire rendus trop émollients par le fort taux d’humidité des jungles indochinoises débarquaient en rangs serrés sur ce bout de rivage siamois. La fleur au fusil et une énorme libido en bandoulière, ils découvriront ensuite les charmes de forte intensité calorifique des naïades locales. Leurs lèvres veloutées au goût de letchi, leurs yeux en amande, leur peau de satin, leur parfum capiteux, garantissaient aux gaillards du midwest des nuits plus câlines que les combattants de Ho Chi Minh. L’odeur vanillée de leur chevelure noire de jais effaçait de la mémoire blessée des » Rocky Warriors » les effluves du napalm et des défoliants du genre agent orange.
Ici, ils découvrent à foison sensualité et volupté.
Ainsi est née la légende de Pattaya, devenue en quelques années le plus grand bordel à ciel ouvert de la planète.
Catégorie câlins, grognements repus, soupirs enfiévrés et râles dignes d’une horde de tamanoirs en rut, la perle côtière de Chonburi n’est toujours pas tombée de son piédestal. Résistant avec vaillance aux menaces des âmes prudes désireuses de la transformer en destination familiale.
Elle reste un quadrilatère magnétique pour des millions de bidochons en goguette se croyant source inépuisable d’un charisme à la Roméo gorgé de testostérone.
Régulièrement des hordes de mâles en chaleur déboulent à Sin City, la ville de tous les péchés. Ce sobriquet lui colle aux basques. Péchés facilement avoués, sitôt pardonnés. Car le dialogue des épidermes en surchauffe vaut assurément mieux que l’échange de bombes à fragmentation. Pour les cœurs à la dérive et les corps en jachère, la rencontre avec les sirènes de la station balnéaire est l’une des modalités. Charmes tarifés, certes, mais rien d’habituel en économie de marché. Quels plaisirs échappent encore à la monétisation ?
Quant à eux, les soldats US ne s’embarrassent guère de circonvolutions philosophiques alambiquées. Poussés par une fringale de plus en plus difficile à contenir, ils foncent dans le tas. Écumant les rues dites chaudes des red districts, les quartiers rouges de notoriété internationale. Prenant d’assaut les centaines de bars et d’estaminets de Walking street, Soi 6 ou Soi Buakaw.
Là, les farouches guerriers se laissent volontiers attendre après trois bières. Vite engloutis dans les flots impétueux de l’érotisme en version tropicalisée. Caresses appuyées, papouilles coquines et hardis suçons sont les spécialités locales d’une gastronomie amoureuse très inventive.
Atout formidable pour l’économie locale, les sirènes de Pattaya rendent le pays du sourire irrésistible. Inoubliable. Malgré les dénégations d’usage, dégoulinant de morale conservatrice et de bien-pensance, nul ne s’y trompe. En quatre jours de permission sur cette terre fertile en divertissements, les marins américains ont dépensé 130 millions de baht selon les premiers calculs.
Patrick Chesneau
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