C’est un endroit où l’on souhaite en général se trouver seul. Mais en Thaïlande, les toilettes pour hommes offrent quelques surprises. Notre chroniqueur Patrick Chesneau décode les mystères des WC siamois…
Par Patrick Chesneau
C’est une expérience très étrange qui fait toujours sursauter le novice (ça ne concerne que les hommes) à peine débarqué dans l’ex-royaume de Siam. Soucieux de découvrir les insondables mystères des nuits orientales, le visiteur s’empresse goulument, dans la foulée du crépuscule, d’aller courir la prétentaine dans une boîte de nuit locale. Elles pullulent en Thaïlande : discothèques, dancings, music lounges, restaurants traditionnels avec soirées en live style Tawan Daeng, gogo-bars, night clubs divers et parfois avariés. Lieux fort indiqués pour rencontrer d’accortes sylphides à la peau de soie et aux lèvres saveur letchi. Exploration-émulsion à la recherche de la femme-orchidée. Entre décibels en cascade et bières Leo en rasades, arrive inévitablement en cours de soirée, le moment où il faut se soulager. « Hong nam yu thîînai khrap » ? (Où sont les toilettes s’il vous plaît ?).
Progression périlleuse dans la foule extatique quand le « wongdongtree » (l’orchestre) régale l’audience de son répertoire favori, oscillant entre ritournelles acidulées de la pop thaïe, K pop venue de Séoul et molam estampillé isaan. Des standards internationaux quand le groupe est philippin. En général, le coin « restroom » est bondé. On n’y voit goutte. Éclairage faiblard, habituellement jaunasse. Attention à ne pas prendre les vessies pour des lanternes. En attendant son tour pour un moment intime, bien obligé de jouer des coudes dans une ambiance moite. Grosse affluence, passé minuit. Les séducteurs thaïs adorent se recoiffer toutes les demi-heures. Mais ce passage obligé par les toilettes peut être riche en émotions fortes, assez inédites pour le néophyte de passage.
Vous êtes aux toilettes, braguette conquérante…
Imaginez : vous êtes aux toilettes, braguette conquérante ouverte en panoramique, confortablement campé en position de projection stratégique, quand vous entendez soudain dans le brouhaha ambiant deux paroles plutôt insolites « Massage Mister ????? »… Presque susurrées façon borborygme, accompagnées simultanément d’une forte pression de deux mains étrangères. Dix doigts qui ne vous appartiennent pas parcourent votre nuque en la tapotant par saccades puis les épaules, le dos. Qui a si inopinément jeté son dévolu sur votre physionomie pourtant non équivoque ? Un simple coup d’œil latéral indique qu’un charmant garçon de bains, équipé d’une serviette éponge humectée, œuvre à votre confort. Sans crier gare. En règle générale, on ne vous demande rien. Pas de consentement requis en préalable à ce rituel étrange, qui peut sembler fort dérangeant. Le message, c’est le massage. L’intervenant surprise vous malaxe consciencieusement au vu et au su d’un public légèrement goguenard s’agissant d’un Farang. Mais, à la vérité, personne ne s’en étonne. Seul au monde face à l’urinoir made in USA, vous êtes embarqué à votre corps défendant dans un interminable intermède de papouilles et de guili guili. L’envers du cou, les vertèbres adjacentes et les muscles attenants, considérés comme zone érogène prioritaire. Vous vous sentez trituré. Inutile de couiner. Encore moins d’éructer un refus gêné. Ça ferait désordre dans cette débauche de bonne humeur. Sanook sanook (quel pied !). Le kiné improvisé de vos heures indues n’en a cure. Aucune agressivité. Pas de quoi s’offusquer. Il n’y a pas lieu d’imaginer une intrusion hostile de sa part. Bien au contraire. On vous offre un moment relaxant contre quelque menue monnaie (tarif de base : 20 bahts). Tout dépend, en fait, si le masseur improvisé intervient en « freelance » ou s’il dispense une prestation en tant qu’employé régulier de la discothèque. Détente et remise en forme expresse. « Sabai sabai ». Rien de libidineux à priori.
Une certaine idée du bien-être
Un massage en Thaïlande est toujours accolé à l’idée du bien-être. Partant de là, un noctambule invétéré se doit de jouer le jeu. Le type aux mains expertes sur votre épiderme perlé de sueur peut être un gaillard flanqué d’énormes biscoteaux qui nourrit l’envie d’aller rejoindre au plus vite sa « fènn » (sa dulcinée) une fois son petit pécule assuré. Probablement, n’êtes-vous pas son genre pour un batifolage improvisé…Sauf si le hasard vous adjoint le savoir-faire un peu envahissant d’un « ladyboy » entreprenant. Dans ce cas, courage, patience et longueur de temps. Dites-vous que l’exploration d’un pays vaut bien quelques sacrifices au gré de circonstances impromptues. A chacun de voir s’il lui convient de multiplier les moments d’échange avec les acteurs locaux…et plus si affinités. A condition d’apprendre en accéléré une méthode éprouvée de négociation tarifaire. Quelle quantité de bonheur en vis-à-vis de quelle contrepartie monétaire ? Irremplaçables moments vécus au plus près des réalités de terrain.
Drôle d’initiation tout de même…