Par Patrick Chesneau
Dans les replis de l’obscurité qui, chaque soir, enveloppe la ville géante, s’incrustent des poches de noirceur extrême. Sans doute les miasmes inhérents aux hommes déviants. La fange et les instincts sordides tapis dans les bas fonds infréquentables. Mais la désespérance n’est jamais de mise. Invariablement, des édifices à l’architecture toute orientale parsèment l’hydre urbaine, chaque jour plus tentaculaire. De là jaillissent des flaques de lumière. Ce sont des temples rutilants qui aimantent le regard. Coiffés de parures d’apparat… Des lamelles en tuiles de verre et de céramique délicatement superposées. L’ensemble donne l’impression d’une jonque inversée.
Lieu d’une extrême dévotion, chaque Wat est flanqué de stupas et de chedis. Scintillantes, leurs pointes jaillissent et tentent d’accrocher le ciel.
En arrière-plan, les immeubles organisés en frondaisons obscures. Plus loin encore, les tours réparties en bosquets épars montent la garde. Mais, rien ne peut détourner l’attention de ces ilots flamboyants. Ils irradient le panorama momentanément assoupi, indiquant le chemin de la rédemption et de l’humanité retrouvée. Aucune vilénie, aucune bassesse ne peut rivaliser avec la ferveur bouddhiste et la piété enracinée dans la psyché thaïe. Pays du sourire, terre de foi. Il suffit aux âmes égarées par mégarde dans la profondeur du crépuscule aux couleurs de l’encre de contempler Krungthep Maha Nakorn.
D’abord, ralentir sa respiration. Trouver un autre rythme intérieur. Écarquiller les yeux. S’emplir de majesté. D’une spiritualité dont on ne peut se rassasier, qui apaise et rassérène. Le décor avait concédé un goût de cendre. Par effet d’une inépuisable magie, la mégalopole ressuscite en prélude au lever du jour. Tel un phénix, elle insuffle vitalité à ses douze millions d’habitants. Et comble d’aise les férus de pâmoison.
Admirable Cité des Anges.
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Crédit photo : Cakery Master
Le Souvenir avec le Crépuscule
Rougeoie et tremble à l’ardent horizon
De l’Espérance en flamme qui recule
Et s’agrandit ainsi qu’une cloison
Mystérieuse où mainte floraison
– Dalhia, lys, tulipe et renoncule –
S’élance autour d’un treillis, et circule
Parmi la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
– dalhia, lys, tulipe, renoncule –
Noyant mes sens , mon âme et ma raison,
Mêle dans une immense pâmoison
Le Souvenir avec le Crépuscule.
Paul Verlaine. “Crépuscule du soir mystique”
in Poèmes saturniens, Alphonse Lemerre éditeur , Paris, 1866 (p. 49-50)