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THAÏLANDE – CHRONIQUE : La vraie nourriture thaïlandaise n’est pas politique

Date de publication : 13/05/2023
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cuisine de rue en Thailande

 

En cette période électorale, notre chroniqueur Patrick Chesneau préfère, lui, s’intéresser à nos papilles et à notre estomac…

 

Manger Thaï, une initiation siamoise

 

Un étranger doit-il se convertir aux usages locaux pour découvrir l’ex-royaume de Siam ? La réponse est apportée, à leur manière, par des expatriés et des touristes longs séjours, en majorité Farang. Ils expliquent qu’ils vivent sur place. Mais ils ne mangent pas thaï. Préférant les cuisines occidentales à une gastronomie orientale pourtant de renommée mondiale. Non pas par contrainte médicale mais par choix et par goût. Ces réfractaires à des habitudes jugées trop exotiques revendiquent, une sorte de droit à l’autodétermination alimentaire. Ce faisant, passent-ils à côté de leur pays d’accueil ?

 

Dans la vie courante, en ville comme dans les campagnes de Thaïlande, on achète ou mange à l’extérieur presque par réflexe. Ce qui permet bien des rencontres. Breakfast, collation du matin, déjeuner, diner, sont autant de circonstances propices aux échanges. Les lieux abondent. Du petit restaurant de quartier à l’échoppe à ciel ouvert, en passant par le boui-boui improbable et l’estaminet à la bonne franquette. Le plus souvent, une simple disposition, à même le trottoir, de tables bancales flanquées de tabourets en plastique, aux couleurs criardes. Dans ce tableau, un aimant…la « street food » (la cuisine de rue) pourvoyeuse d’émotions gustatives à coût modique dans une ambiance pittoresque. Le petit peuple est coutumier de ces lieux de grande effervescence. Qu’on ne s’y trompe pas, les nantis en raffolent aussi. Sur leur toile cirée défraîchie, protégés du soleil et de la pluie par de grandes bâches bariolées, les étals proposent un extraordinaire éventail de mets typiques représentant le patrimoine culinaire des provinces : la soupe khao soy kai, ข้าวซอย (nouilles, poulet, lait de coco, curry) originaire du nord ou le nam tok khaw niaw วิธีทำ น้ำตกเนื้อ (porc grillé découpé en fines lamelles, agrémenté de riz gluant) venu d’Isaan sont de magnifiques exemples de cet incroyable éventail des saveurs. Topo identique concernant les carioles brinquebalantes arpentant les soi (prononcer so-ye, les rues et ruelles) tandis que les poka mèka (vendeurs et vendeuses) claironnent d’une voix stridente leur spécialité du jour. On a là la quintessence d’un mode d’existence qui réunit tous les Thaïs, indépendamment des strictes considérations de classe. L’eau vient à la bouche de toutes les catégories de la population.

 

Vivre la Thaïlande, n’est-ce pas la ressentir charnellement ? Partager cette obligation ordinaire qui est en même temps un loisir essentiel : manger. Au diapason des habitants. Endroit idéal pour découvrir des recettes inédites, les files à rallonge, dans lesquelles les clients patientent, toujours joyeux, en attendant livraison de leur commande. Les uns jettent leur dévolu sur un khaw kai tiaw  ข้าวไข่เจียว (porc riz omelette) les autres sur un khaw niaw kai tôt ข้าวเหนียวไก่ทอด (poulet grillé riz gluant). Souvent, les convives improvisés se retrouvent assis à une table commune, longiligne, parsemée de touffes de légumes verts à volonté.

 

Rituel prioritaire, ils font d’abord main basse sur le rouleau de « tissu » ( prononcer tichiou ) qui trône en majesté. En fait, du papier toilette dont la fonction première est d’essuyer assiettes et couverts avant que la nourriture n’y atterrisse. A portée de coude, le voisin devient vite un confident. Plonger ensemble la main dans une boîte rectangulaire en fer blanc pour se saisir d’une cuiller, d’une fourchette ou d’une paire de baguettes aide à faire connaissance. Pas de couteau puisqu’il n’y a rien à découper. Dans ce joyeux tohu-bohu, la promiscuité force la convivialité. Éclosion des sourires… Ne pas parler thaï n’empêche nullement la jovialité. Par le regard et les gestes, on pallie le manque de vocabulaire. Les zygomatiques détendus à l’extrême remédient aux lacunes grammaticales. La conversation jaillit comme un prolongement de l’appel de l’estomac. En mangeant, littéralement les langues se délient. Il est tout aussi fascinant de constater à quel point la résistance des Thaïs au piment rouge vif, le fameux chili qui incendie les palais, est conforme à la légende.

 

La créativité culinaire est un art de vivre et le spectacle de la rue toujours riche de scénarios qui renseignent sur le fonctionnement d’une société. Ainsi, à l’intermède de midi, c’est un pur régal que d’assister au débarquement inopiné à la table d’à côté d’un aréopage gracieux de secrétaires et d’assistantes. Juchées sur des chaises à l’équilibre improbable, les « office ladies » se déchaussent pour adopter des postures de fakir, jambes croisées en surplomb, quand le haut du corps se redresse à la vitesse d’un bambou ultra flexible. Leur minois en amande resplendit. Elles ont le babil joyeux. Par salves, fuse un rire aux sonorités chantantes. Avec grâce, elles entreprennent une chorégraphie qui laisse pantois le visiteur. Faisant virevolter leurs ustensiles avec une époustouflante dextérité au-dessus d’un bol de nouilles fumant. Ce spectacle d’agapes siamoises ne manque jamais de réjouir le cœur. Autre étonnement made in Thailand, quand la sémillante « dek seup » (serveuse) amène un verre rempli de glaçons pour accompagner une bière déjà réfrigérée.

 

Un art de vivre

 

La table est une culture de connivence qui se déguste au rythme des saisons. Plaisir indicible du som tam ส้มตำ, salade de papaye verte quand il fait chaud ou d’un massaman curry แกงมัสมั่น au bœuf ou au poulet quand la mousson rafraîchit les soirées. En outre, se sustenter en Thaïlande correspond à un découpage précis de l’horloge. Une chronobiologie en action. « Hiew maak » (prononcer hi-ou mâque, j’ai super faim). En chaque sujet du Royaume, sommeille un gourmet compulsif qui peut jouer des mandibules jusqu’à cinq fois par jour. Rien de pantagruélique. Une krok isaan, saucisse fermentée avalée sur le pouce ou un bâtonnet de moo ping (prononcer mou ping, bouchées de porc) suffisent…jusqu’au prochain en-cas. Dans ce contexte général, comment observer l’animation quotidienne du pays si l’on se cantonne aux restaurants internationaux ou en mitonnant soi-même sa « nutrition comme à la maison » ? Les étrangers en mode zapping culinaire ne sont-ils pas purement et simplement à rebrousse-poil de cette nation encline au raffinement ? Imagine-t ‘on pouvoir déguster un pot-au-feu bien français lorsqu’on rend visite à la famille de sa « teerak » (prononcer tirak , chérie, dulcinée), au fin fond d’un village isaan, l’immense région du nord-est. Tout le monde, réuni à même le sol, sur une natte. A mains nues, on se rassasie d’un impressionnant pla pao ปลาเผา (poisson grillé) et des boulettes de riz qui vont avec, confectionnées avec les doigts et trempées dans une coupelle de nam jim น้ำจิ้มซีฟู้ด (la sauce appropriée). La communion est collective. Sauf à se tenir à l’écart, comment déroger à de tels us et coutumes ?

 

Bien sûr, les plats du monde entier sont accessibles dans cette accueillante contrée. Véritable tour de Babel du lèche-babines. Mais la Thaïlande sans son emblématique cuisine, est-ce la vraie Thaïlande ?  Deux mots définissent ici l’aptitude au confort de vie : aroy et sabai sabai (délicieux et …cool, tranquille). Ce bonheur-là n’est pas une ascèse. Il faut lui prêter attention et le nourrir.

 

Patrick Chesneau

 

cuisine de rue en Thailande

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