Une chronique siamoise de Patrick Chesneau
Question de nature. Quand la vie est clémente, je constate volontiers ma propension à rire, à blaguer. Et même à déconner. Par temps ordinaire, la plaisanterie n’a jamais assez duré. De même, mon inclination à provoquer. A ferrailler. Et puis, tout à trac, changement de décor. Le mental bifurque. Ce fut le cas, il y a quelques minutes, ce dimanche soir, alors que la Thaïlande s’enfonce dans une nuit d’encre. En une nanoseconde, tranchante comme un scalpel, je me reprends.
Réflexe brutal
Il me faut me ressaisir à l’aune de la gravité d’un moment extraordinaire. La loi kilométrique fait que je pense d’abord, et repense en boucle, au calvaire des ouvriers ensevelis à Bangkok, quartier Chatuchak, sous des tonnes de gravas. Là où un immeuble s’est effondré comme un château de cartes dès les prémices du tremblement de terre. Depuis, une course contre la montre est engagée. Comment les extraire à temps de l’amas de décombres ? La douleur est une étreinte implacable. Pour celles et ceux, encore vivants mais piégés sous une accumulation de blocs de béton disloqués et de poutrelles déchiquetées, l’épouvante se profile avec une insistance croissante face au spectre de la mort.
Il est des angoisses que l’on voudrait habiller de mots cathartiques. Pour se libérer du drame. Mais ces maux-là sont, ici et maintenant, indicibles. Quand l’effroyable est à l’apogée, la quête du bonheur qui nous guide tous a soudain un goût de cendres. J’aime la beauté. Pourtant, à cet instant de bascule, elle est calcinée.
Patrick Chesneau
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