Une chronique siamoise et sociétale de Patrick Chesneau
C’est un rite illustre, profondément ancré dans les racines de la chrétienté et bien avant elle. Qui s’est formidablement adapté en Thaïlande, pays à 90% bouddhiste. Catholiques et Protestants constituent 1% de la population totale de cette contrée du bas Mékong. Sous cette latitude, Noël n’est évidemment pas une tradition séculaire. On chercherait en vain une cheminée dans les foyers. Sauf peut-être chez quelques Farang excentriques, nichés sur les cimes du Triangle d’Or.
Ce beau Royaume, bien qu’arc-bouté aux valeurs intransigeantes de la thainess, s’est toujours nourri d’influences multiples. Tous les apports extérieurs sont accueillis à “wai” ouvert. Surtout s’ils sont conjointement synonymes de business. Le génie thaïlandais est de les embrasser sans les étouffer. De les digérer. Recycler. Remodeler. N’importe quel rituel allogène peut faire l’objet d’un étonnant recyclage. Sans doute, faut-il y voir un goût prononcé pour la fête.
Au pays du sourire, des éléphants et des orchidées la proportion de noceurs invétérés est invariablement très élevée. Tout est occasion de festoyer, rigoler, se déguiser, ripailler… Il faut dire que le décorum ambiant pousse à la liesse. A Noël, les décorations sont partout. Des milliers de sapins ont-ils miraculeusement poussé depuis des mois en maintes régions du Royaume ? Bien aidés par des températures dignes de frimas européens. Leur terreau d’acclimatation favori est le maillage serré des centres commerciaux. Tous rivalisent dans le faste des créations artistiques. Les arbres de Noël géants “narguent” avec bonhomie les conventions bouddhistes.
Personne n’aurait l’idée de s’en offusquer. Partout, ce n’est que boulimie de guirlandes, profusion de boules multicolores empruntées aux ambiances occidentales. Certains poussent l’audace jusqu’à sculpter un bonhomme de neige, carotte comprise. Snowman, mascotte incontestée. Et il faut le reconnaître sans mégoter, la symbiose fonctionne à merveille. Les anthropologues parleraient volontiers de syncrétisme culturel. Plus prosaïquement, c’est une manifestation joyeuse de la tolérance des Thaïs. La magie de Merry Christmas illustre une symbiose très aboutie au pays des 43 000 temples rutilants.
Jingle bells jingle bells, les ritournelles de saison mobilisent des contingents de haut-parleurs.
Les shopping Malls proposent aux badauds des avalanches de selfies devant des décors empruntés à l’imagerie traditionnelle d’une liturgie a priori fort exogène. Plus vrais que nature. Bel et bien finies les années COVID. En ces temps immémoriaux, le patriarche barbu gardait le masque. La pandémie en rebond pendant trois ans faisait alors office d’embûche de Noël. En cette fin 2024, les pluies de cotillons ont définitivement renoué avec leur habituelle vigueur… Abondance retrouvée. Le flot des touristes à la mine enchantée ne cesse de grossir. En préalable, petit conseil sémantique… Ne dites plus Papa Noël. Place à Santa Claus… à la mode anglo-saxonne.
Les enfants, thaïlandais comme étrangers, prennent la pose au moment de l’indispensable cliché sur les genoux du personnage de légende. Les enfants particulièrement espiègles s’enhardissent à farfouiller dans la fausse barbe blanche du vénérable globe-trotteur. Ils s’émerveillent de le voir puiser dans sa hotte en osier “made in Isaan “. Sanglé dans sa tenue rouge trop molletonnée, il s’efforce de faire bonne figure. De grosses gouttes de sueur perlent sur son front empourpré. Rester stoïque est le défi à relever. Pour lui venir en aide, la clim est poussée à fond.
A Krungthep Mahanakorn, (nom thaïlandais de Bangkok) les incontournables de la fête sont au rendez-vous.
Des scènes illustrant les mystères qui fondent la foi chrétienne ont été méticuleusement agencées, ployant sous les colifichets bigarrés. Couleurs criardes de rigueur. Impressionnant souci du détail. A ne pas manquer, le traineau et l’attelage de rennes amenés tout droit de Laponie. Drôle de “taxi meter” venu d’une toundra proche du cercle arctique, sans doute pour intriguer les “tuk tuk” incrédules, garés en file indienne devant Central World, IconSiam ou K Village.
En tous lieux, un show identique. A chacun son bonnet rouge. Des tenues de lutin virevoltent dans la foule. Les filles du cru, jamais en reste quand il s’agit de jeux et facéties, arborent de drôles de coiffes en forme de bois de cervidé. Sans jamais omettre le côté business des réjouissances. Distribution de cadeaux sur fond d’opérations commerciales. Une aubaine pour les grandes marques. Dans les supermarchés, même les victuailles sont estampillées “Noël gourmand”. Les marchés liés à l’événement ne désemplissent pas. Dans cette marée de mercantilisme débridé, il y a toutefois de quoi réchauffer les cœurs. Notamment, une brochette de marchés solidaires, répartis dans la capitale à l’initiative de plusieurs associations farang.
Il semble même que ces jours récents, s’est levée une génération spontanée de crèches. Miracle de la nativité sur les bords du grand fleuve Chao Phraya. Jingle bells, jingle bells… Suk San Wan Christmas. Joyeux Noël.
“Melli Kismas tuk khon”*
Patrick Chesneau
*Merry Christmas à tous… prononcé à la manière thaïe
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