Notre chroniqueur Patrick Chesneau se délecte quand il raconte la Thaïlande du quotidien. Et nous aussi !
A l’école thaïe, le prof…seul maître à bord,
Wan Kruh. National Teacher’s Day. La Journée Nationale des Enseignants. Lundi 16 janvier, en tous points du Royaume. Encore une date emblématique en Thaïlande.
Ce jour-là, comme à l’accoutumée, tout est orchestré au millimètre près. Rien n’est laissé au hasard ni aux trouvailles personnelles. Tous les élèves du Royaume de Siam se prosternent devant leurs professeurs. Les cérémonies où les enfants sont à même le sol, côte à côte en rang d’oignons, n’ont qu’un objectif: rendre hommage à leurs enseignants, érigés en figures quasi-tutélaires. Dans les classes, ils sont les seuls dépositaires du savoir. Les grands ordonnateurs de la connaissance. Plus que des remerciements, de la gratitude et un profond respect, ce rituel semble s’apparenter à un haut degré de dévotion. On rétribue symboliquement celui ou celle à qui l’on doit tout : l’acquisition de l’enseignement, le suivi des études, l’obtention des diplômes et le développement de l’intellect. Dans une société pyramidale qui empile les strates de pouvoir, l’éducation demeure le levier principal de l’élévation sociale. Surtout pour ceux qui sont issus d’un milieu très modeste, dénués de la fortune qui garantit le rang et la position et qui, enfin, sont démunis de tout jeu de relations et de connections. En apparence, cette manifestation de reconnaissance morale peut être assimilée à un acte de soumission.
Est-il totalement consenti ? Parler d’allégeance académique ne serait pas inadéquat tant l’autorité mandarinale ne se discute pas.
On obtempère aux rites séculaires. Ordre et obéissance sont des vertus cardinales. Quand bien même, le pédagogue suprême agit en quasi-potentat dans sa classe. Le savoir tombe de haut en bas. Rectiligne. Sur le plan de la pédagogie, on privilégie la répétition annonante, la reproduction méthode Rank Xerox et la récitation des leçons à l’instar d’une mélopée. Pas d’initiative personnelle qui empièterait sur les prérogatives du maître. La curiosité des futurs citoyens du Royaume n’est admise qu’en portion congrue. Mode de transmission vertical oblige, aucune question audacieuse, encore moins irrévérencieuse n’est admise tout au long du cursus. Malgré une légère brise de contestation il y a deux ans, lors des manifestations de masse étudiantes, le monde de l’éducation en Thaïlande reste un bloc monolithique. En clair, le système ne tolère aucune remise en cause. Et certainement pas quant à ses fondements. Au risque de la sclérose et d’un manque pénalisant d’innovation conceptuelle. La forme et le fond se rejoignent. Mieux, se conjuguent. Car la discipline est ici une ascèse. Se hisse au rang d’une matière obligatoire. Port de l’uniforme de rigueur, levée du drapeau et hymne national chaque matin dans les cours de recré où l’on est prié de ne pas jouer en dehors des horaires prévus à cet effet. Injonction autoritaire est faite en permanence à chaque élève de se couler dans le moule de l’ordre établi. Celui qui commence à l’école, lieu des apprentissages.
L’observance stricte de la hiérarchie est une caractéristique immuable au fur et à mesure des époques et des générations.
On a là les prémices d’un comportement indissociable d’une socialisation très codifiée à tous les échelons de la société. De quoi préfigurer à horizon rapproché pour les garçons, la période de l’armée, souvent tant redoutée des ados thaïs.
” Je ne veux voir qu’une seule tête “. C’est le mantra de l’institution scolaire. Mais attention. Pas n’importe quelle tête et pas n’importe comment. Les normes édictées au chapitre style et longueur sont draconiennes. Une mèche un peu trop rebelle et la sanction s’abat comme un bambou sec pour infraction caractérisée à la norme capillaire. Sur le plan vestimentaire et des coloris, aucune marge n’est consentie à de quelconques choix individuels. La primauté du collectif en toutes circonstances. Pourtant, le miracle thaï s’accomplit.
En dépit d’un niveau généralement considéré comme bas par les experts, les bancs de l’école voient éclore de nombreux talents. Il n’est pas rare que les élèves du Royaume trustent les premiers prix et raflent les récompenses dans les concours internationaux. Chaque année, ce sont même des brochettes entières de jeunes virtuoses qui semblent programmées pour de véritables razzias sur les distinctions dans les grandes compétitions à l’étranger. Les petits thaïlandais brillent singulièrement dans les matières scientifiques et technologiques.
Mine de rien, l’école thaïe sous des dehors ultra-rigides et corsetés serait-elle une pépinière d’inventeurs ? Puisque le constat est là, voilà un paradoxe fort réjouissant.
Patrick Chesneau