C’est une attention de pure humanité. Émotion, compassion et compréhension vis-à-vis des bar girls de Thaïlande. Elles sont des centaines de milliers. À compter du 15 décembre, les nymphes aux yeux en amande vont devoir travailler jusqu’à 4 heures du matin, nouvel horaire de fermeture des bars et estaminets au pays des temples, des éléphants et du somtam épicé. Voici comment Patrick Chesneau démarre sa nouvelle chronique. Avis aux insomniaques…
Une chronique de Patrick Chesneau
Nuance immédiate, la mesure gouvernementale ne sera pas applicable dans l’intégralité du Royaume. Dans un premier temps, seront concernées uniquement les régions de prédilection du tourisme de masse. Pour être d’une précision millimétrée, l’exemple de Bangkok est édifiant. Seuls les établissements de trois quartiers homologués auront droit à une fermeture plus tardive. Silom-Patpong, Royal Avenue-New Petchaburi Road et Ratchadaphisek. Mais pas Sukhumvit-Soi Nana ni Asoke-Soi Cow Boy. Non plus que Thonglor-Ekkamai. Et pas Khaosan Road. Inégalité de traitement qui découle d’un zonage, jugé discutable par beaucoup, établi discrétionnairement par le gouverneur de la capitale. Selon quels critères ? Mystère siamois et boule de gomme orientale.
A Chiang Mai…
Topo identique à Chiang Mai, la perle septentrionale et dans les stations balnéaires de Chon Buri Pattaya et Phuket, périmètres qui rassemblent les foules les plus compactes de vacanciers égrillards. En quête de sensualité exotique. Koh Samui a été laissée de côté. Hua Hin est passée à la trappe. Les vestales officiant dans les zones les plus trépidantes seront donc assujetties, à la différence de leurs collègues des provinces oubliées, à ce créneau si prisé des noctambules. Incidemment, c’est l’occasion de rappeler que dans les métiers de la nuit et activités afférentes dédiées au divertissement, le droit du travail est, dans les faits, inexistant.
La pratique des charmes tarifés est tolérée mais non reconnue officiellement. La prostitution en tant que telle est d’ailleurs interdite. Dès lors, peu de salariées sont déclarées. Aucun garde-fou juridique. Comme si le travail nocturne était inquantifiable. Législation élastique, pratique empirique…cette équation prosaïque est le lot des petites mains pourvoyeuses d’ineffables plaisirs.
La “mama san” (chaperonne) veille au bon grain et fustige l’ivraie. Intervient promptement dès qu’une recrue un peu trop fantasque fait mine de s’affranchir des règles collectives. Discipline à la fois accommodante et inflexible. Au bout des heures indues, place à un rituel immuable : nettoyer les tables encombrées de bouteilles éventrées, ranger les chaises défraîchies, balayer un sol en formica devenu spongieux au fur et à mesure de la soirée et épousseter les banquettes élimées de toutes sortes de fluides. Soudain, la nuit fourbit son épilogue. Il est 5 heures. A ce moment du cadran, Bangkok ne s’éveille pas. La ville géante ne dort jamais. Mais les aurores irisent le ciel. Les copeaux d’obscurité s’effilochent.
Le jour qui se lève
Le jour qui se lève oscille entre pleins et déliés. Les naïades toujours vaillantes quoi que un peu fanées pourront enfin aller se coucher tandis que l’astre chaud décochera ses rayons ardents sur les vastes régions entre bas Mékong et mer Andaman. A peine un émerveillement fugace et tout aussitôt s’évapore la rosée éparse sur toutes les fleurs du Royaume. Dormir, condition de la survie après un dur labeur. Regards embués. Les vapeurs de spiritueux et bien d’autres breuvages mordorés finissent par avoir raison des naïades philanthropes. Leur pétulance vacille, exprimant ainsi le besoin d’une longue parenthèse pour reconstituer leur capital santé. Pourtant, les sylphides à la peau de soie, endémiques de l’Orient mystérieux, ne pourront s’accorder qu’un sommeil écourté. Sauront-elles récupérer de leurs facéties amoureuses et de leurs minauderies enjouées ? En guise de repos rétréci, quelques encablures-chrono suffiront-elles ?
Nuits peau de chagrin
Nuits peau de chagrin. Rabotées. Sans guère de transition, elles devront rempiler dans leur bar d’attache pour de nouvelles aventures acrobatiques âprement négociées. A n’en pas douter, certaines de ces sémillantes hôtesses, soumises à d’éprouvantes cadences pour satisfaire le flot ininterrompu des bidochons en goguette, seront exténuées. Bailleront en plein jour à s’en décrocher la glotte. Certes, enjouées sur commande, elles excellent à donner le change. Perchées tels des oiseaux multicolores sur des tabourets longilignes, elles ne dérogent jamais à leurs habitudes. On croirait un aréopage de métronomes. Noyant leur lassitude dans un inépuisable battement de jambes. Croisées, décroisées… mimant par inadvertance la progression inexorable des aiguilles d’une montre. Rythme imperturbable façon essuie-glaces seulement ponctué à intervalles réguliers d’intermèdes facétieux.
Babil acidulé
Babil acidulé. Rires en gerbes et en cascade. C’est le cas quand elles pianotent frénétiquement sur le clavier de leur téléphone dernier cri. Fascinante chorégraphie des mains graciles. Doigté miraculeux. Elles sont les virtuoses manucurées des réseaux numériques. Tik Tok en écho au tic tac. Les horloges ne suspendent jamais leur ronde. En toutes saisons, les fuseaux défilent et infusent nos vies. Survient à la longue un léger mal de crâne ? Deux cachets de thylenol sauront les requinquer. Si ce n’est d’autres médications aux effets plus fulgurants mais impitoyables en cas de répétition abusive. Quel que soit leur état d’épuisement, elles devront assurer un service irréprochable, sans bavure, expurgé de toute éclaboussure intempestive auprès d’une clientèle tatillonne. S’employer corps et âme à ” vendre ” des arpents de paradis à leurs partenaires de circonstance en jeux tarifés.
Tous mâles et amateurs d’émotions fortes. Inlassablement, elles seront dispensatrices de sensations alternativement tangibles et frelatées. Le désir est une injonction physiologique. Irrépressible. Comminatoire. Le plaisir, une ligne de crête. La jouissance, une rédemption. Au pays du sourire, un peu crispé quand la rencontre a été rude avec un Tarzan d’opérette décidément trop malotru, les femmes-orchidées ouvrent un chemin de félicité.
Le métier des bar girls thaïes est en fait un art. A force de rituels élaborés, elles font croire que le bonheur existe.
Patrick Chesneau
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A nouveau un article consternant. Les filles de bar ne portent en aucun cas préjudice aux adeptes du culte de Marguerite-Marie, de l’adoration du Sacré-Coeur de Jésus, du foot et de la bière. La Thaïlande est un pays de droit (romain) et comme les Thaïlandais sont des gens fins, la police fait finement son travail, qui est d’assurer la tranquillité publique. Il n’en demeure pas moins vrai que les femmes ont des charges, physiologiques et sociales, particulières, qui appellent les privilèges correspondants. Évidemment comprendre cela n’est pas à la portée du premier venu.
Simplement que les créatures que vous décrivez avec talent, ne sont plus Thaïlandaises mais viennent d’Afrique, d’Amérique du Sud et Pays de l’Est. Les temps changent, le monde évolue !
Bravo Monsieur Patrick Chesneau pour cette chronique magnifiquement écrite.
Et quel bel hommage à ces femmes-orchidées qui, officiellement, n’existent pas dans le Royaume.