L’épidémie de coronavirus n’est pas seulement une calamité sociale en Thaïlande. Elle est aussi, pour les jeunes générations nées dans la foulée de la crise financière de 1997-1998, un nouvel écueil à surmonter alors que la colère des étudiants demeure élevée contre le gouvernement pro-militaire du premier ministre Prayuth Chan-Ocha. Juste avant la vague de contaminations au Covid 19, sur les campus de Bangkok, les étudiants réclamaient un changement de régime. Cette fois-ci, la litanie de l’angoisse de la jeunesse s’étend au-delà d’un système politique immuable. La chanson anti-establishment “Prathet Ku Mee” du Rap Against Dictatorship est devenue une sorte d’hymne explique David Hutt, dans les colonnes du site d’analyse géopolitiques «The Diplomat».
Selon David Hutt, un thaïlandais né en 1990 a maintenant connu trois crises économiques (la crise financière asiatique de 1997, la récession mondiale de 2008 et la crise actuelle provoquée par le coronavirus), deux coups d’État militaires et d’innombrables changements constitutionnels. Le coronavirus n’a donc fait que lever un nouvel obstacle. Comme le soulignent les universitaires Pavida Pananond et Thitinan Pongsudhirak dans un article publié par le Bangkok Post le 10 avril, “des foules éclair menées par un mouvement de jeunesse pour récupérer l’avenir gâché de la Thaïlande menaçaient la longévité du gouvernement”.
Comme l’a noté The Economist dans un article paru au début avril 2020, entre 2009 et 2019, l’économie thaïlandaise n’a connu qu’une croissance annuelle moyenne de 3,6 %. Le Vietnam, en comparaison, a connu une croissance annuelle d’environ 6,5 %. La Malaisie, encore plus riche, a connu une croissance annuelle moyenne du PIB d’environ 5,3 % pendant cette période. En 2019, la croissance du PIB de la Thaïlande a chuté à seulement 2,5 %.
17 % des titulaires de diplômes au chômage
Les jeunes thaïlandais ont été les plus touchés par cette crise. En 2018, Udom Kachinthorn, alors ministre adjoint de l’éducation, a déclaré que 72 % des diplômés universitaires pourraient être au chômage ou occuper des emplois sans rapport avec leur diplôme en raison de l’automatisation d’ici 2030. Cette année-là, quelque 17 % des titulaires de diplômes étaient au chômage, contre seulement 4,7 % des autres jeunes sans formation universitaire. Selon une estimation, la moitié des thaïlandais âgés de 18 à 24 ans sont endettés, et ce chiffre est en augmentation. Les salaires stagnent. Le coût de la vie augmente.
Dans le même temps, le seul parti politique qui semblait offrir un peu d’espoir aux jeunes, le parti Future Forward, fondé en 2018 par Thanathorn Juangroongruangkit, 41 ans, et qui a obtenu un tiers respectable des voix lors des élections générales entachées de fraude de l’année dernière, a été dissous sans cérémonie par les tribunaux en février sur la ridicule accusation d’avoir accepté un don illégal.
Anéantie par la crise du coronavirus
S’il y avait une possibilité d’amélioration, elle a maintenant été anéantie par la crise du coronavirus. La banque centrale thaïlandaise estime que l’économie se contractera de 5,3 % sur l’année, la pire prévision pour un État d’Asie du Sud-Est. La Banque Mondiale dit à peu près la même chose. Ne vous attendez pas à ce que la Thaïlande rebondisse comme certains de ses voisins. Peut-être que les touristes reviendront à leurs chiffres d’avant le virus l’année prochaine, mais le secteur, qui contribue à environ un quart du PIB du pays, sera anéanti pendant plusieurs années. Pendant ce temps, les emplois dans le secteur manufacturier se raréfieront. Le géant automobile américain General Motors a commencé à se retirer de Thaïlande en février ; la firme japonaise Mazda a délocalisé la fabrication de ses VLT en décembre. Quel que soit le point de vue adopté, l’économie thaïlandaise était en panne bien avant l’épidémie de coronavirus, qui a révélé la fragilité du pays.