Une période comme celle que nous traversons avec l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 exige réflexions et suggestions. L’avenir sera fait d’initiatives et de décisions parfois douloureuses. Mais à coup sûr, de nouvelles pistes vont s’ouvrir. Lesquelles ? Tout dépendra, en Asie comme en Europe, du nouvel environnement international. Notre ami Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Laos et au Népal, et surtout fin connaisseur de l’Extrême Orient, nous donne son point de vue éclairé.
Une contribution d’Yves Carmona, ancien ambassadeur de France au Laos et au Népal
Ce texte essaie d’apporter des idées neuves. Je ne compte pas, je ne suis engagé ni au profit du gouvernement, ni d’une entreprise, ni d’une religion. Trop âgé pour espérer quoi que ce soit de ce monde et ne croyant pas à une survie au-delà, je suis un libre penseur.
Je pense que nous pouvons sortir de la crise provoquée par le virus en allant vers un monde différent ou revenir au monde tel qu’il existait avant.
1/ Comme avant ?
Si nous revenons au monde tel qu’il était avant la crise du virus, des tas de gens illustres l’expliqueront mieux que moi, à eux la parole…
Et il y a de fortes chances que le capitalisme s’ajuste à la situation sans en changer les règles.
Comme aujourd’hui, ceux et celles qui sont en bas de l’échelle continueront à faire les sales boulots, beaucoup d’entre eux venant de l’immigration : apporter et compter dans les supermarchés, fabriquer pour nos besoins, s’occuper de nous quand nous sommes malades, sortir les ordures de chez nous et les apporter là où leurs semblables les traiteront, conduire des avions, des trains, des taxis, etc. pour que nous puissions travailler et faire du tourisme, s’occuper de nos parents quand ils sont trop vieux.
On les paiera un peu mieux si leurs syndicats savent faire valoir leurs besoins et l’ordre ancien n’en sera pas bouleversé. Voyez comment s’est soldée la crise américaine des “sub-primes” en 2008, elle a certes ajouté des règles de supervision sur le métier bancaire mais le capitalisme, même avec un Noir à la tête des États-Unis, a survécu à la crise.
2/ Un nouvel ordre : plus autoritaire ou plus démocratique ?
En revanche, si nous pensons qu’un nouvel ordre doit être rebâti, cela devient plus intéressant car le changement peut aller dans deux directions complètement opposées.
Ce nouvel ordre pourrait devenir plus « démocratique ». Un des résultats pourrait en être une meilleure gouvernance. La Chine, qui est probablement à l’origine de l’expansion du virus dans le reste du monde et les États-Unis qui paient cher d’avoir trop longtemps nié sa gravité devront céder une partie de leurs droits aux autres pays.
Nous pourrions alors avoir une modalité de gouvernement du monde plus proche de celle des Nations-Unies avec un Conseil de Sécurité réformé, fusionné avec le G20 et donnant ainsi la parole à d’autres continents, notamment l’Asie.
Mais ce nouvel ordre pourrait aussi devenir plus “autoritaire”. Avant le virus, c’était la tendance générale, de la Sinamérique à la Turquie d’Erdogan et même au tandem Poutine-Assad. Mais les gouvernements autoritaires ont-ils mieux réussi que les autres ? Cela reste à voir. En même temps, certains pays comme la France ont mis en œuvre des politiques jacobines, avec un plus grand succès, au moins initial, que d’autres moins directifs, sans doute trop libéraux comme les États-Unis.
A l’autre bout de l’échelle, la Chine, la Corée du Sud et même Israël ont été décrites par certains avocats ou écrivains soucieux de droits humains autant que d’efficacité sanitaire comme le « meilleur des mondes » que brocardait Aldous Huxley…
3/ Éclatement ?
Washington donne le sentiment de courir derrière ses États fédérés, mais est-ce provisoire, avec à sa tête un Trump affaibli, ou durable, qu’il soit ou non réélu ?
La Chine connaît peut-être la même sorte de dilemme. Plus encore que de conserver toutes ses prérogatives au parti communiste, Xi Jiping est soucieux de préserver l’unité de la Chine, un défi pour les Empereurs qui l’ont précédé pendant 5 millénaires. Les deux leaders qui ont été limogés à Wuhan l’ont dû à leur incapacité à juguler l’épidémie autant qu’à leurs tentatives d’en masquer la gravité à Pékin.
Les historiens et les électeurs diront si l’autorité fonctionne mieux que le gouvernement à distance. Mais en tout cas, celui-ci doit exhiber quelque expertise, sur le modèle traditionnel du « despote éclairé » européen du 18ème siècle.
4/ Expertise
Aujourd’hui, une stratégie crédible à l’égard du virus doit reposer sur l’expertise. Cela signifie savoir scientifique, sans qu’on sache clairement lequel est correct et lequel ne l’est pas. En France, un médecin a été et est encore (elle puis il ont changé pendant l’épidémie) ministre chargé de la santé et ils ont été tous les deux populaires. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, Monsieur-je-sais-tout sont l’un et l’autre des hommes politiques, avec des effets désastreux pour leurs compatriotes.
Si l’on regarde vers l’Orient – le Japon et la Chine dans une certaine mesure -, les citoyens donnent le sentiment de savoir ce qu’il faut faire mieux que leurs gouvernants qui préfèrent regarder ailleurs, comme M. Abe au Japon. Là où elles sont sincères, les élections diront qui avait raison.
5/ L’économie d’après verra-t-elle certains secteurs chuter pendant que d’autres seront en croissance ?
Il parait assuré que certains secteurs qui ont profité de la mondialisation seront victimes de la relocalisation de leurs activités, comme la production de masques, de tests, etc. et plus généralement des produits que la division mondiale du travail permettait, depuis un demi-siècle, de fabriquer à distance pour moins cher.
Certaines activités particulièrement liées à la mondialisation devront décliner : les fruits et légumes venus du bout du monde, mais aussi le tourisme. Cela permettra aussi de lutter contre le changement climatique.
Tant de gens se sont mis à écrire sur l’avenir assombri du tourisme et donc du transport aérien ! Ayant passé du temps personnellement à Venise noyée sous l’ “acqua alta” puis dans des régions japonaises percevant comme une catastrophe similaire l’absence de touristes chinois, vivant aujourd’hui dans une région qui se plaint de la fin du tourisme au long cours, je pense que la mobilité, les avions etc. resteront une activité importante pour beaucoup de gens mais devront coûter plus cher pour survivre.
Et le tourisme doit aussi être plus juste. Ceux qui dépensent des dizaines de milliers de dollars pour escalader les pentes de l’Everest, ceux qui “visitent” l’Asie du sud-Est parce c’est moins cher que chez eux mais se tournent vers leurs consulats dès qu’ils ont un problème de santé ont-ils droit à une coûteuse protection de la part de leur gouvernement pour rentrer chez eux ? Si ce service leur coûtait plus cher, ils y regarderaient à deux fois avant de partir…
On voit aujourd’hui se développer des solutions aux sorties devenues impossibles : le « e »-tout, qui permet de voyager à travers le monde , et aussi de rencontrer ses collègues de travail à travers ordinateurs et smartphones.
Et pour les interactions sociales physiques qui rendent indispensable le contact direct, restons locaux !
6/ Un rééquilibrage des capacités de production
En somme, nous aurons besoin de consacrer une plus grande partie de notre PIB et une plus vaste proportion de nos territoires à des activités de production qu’il serait moins coûteux de concentrer dans de grandes villes.
Cela veut dire que le capitalisme survivra ( qui pourrait donner la preuve du contraire ?) à condition qu’il se montre plus compatible avec le respect de la nature et des besoins locaux.
Si le capitalisme ne réussit pas cette mutation, il nous restera non pas le communisme que Gorbachev et quelques autres ont tué, mais le nazisme.
Qui veut cette issue ?