Le très bon site d’analyses Asia Sentinel a publié voici peu une analyse sur les divisions sociales thaïlandaises exacerbées par la crise du Covid. Selon ce site, la fracture entre les classes sociales en Thaïlande se sont considérablement élargies pendant la pandémie de Covid-19. Le soutien du public au régime du Premier ministre Prayuth Chan-ocha s’effrite et la colère monte face à l’incompétence perçue dans la gestion de la pandémie.
L’année dernière, la Thaïlande était presque en tête de la liste des pays qui géraient bien la pandémie. Elle se retrouve aujourd’hui à l’avant-dernière place, classée 118e sur 120 dans l’indice de reprise Nikkei Asia Covid-19. Prayuth a publiquement pris en charge la gestion de la réponse du pays en avril, mais la Thaïlande a été frappée par des variantes plus contagieuses du virus, avec un déploiement lent et désordonné du programme de vaccination.
Siam Bioscience
Le gouvernement a misé gros sur la production d’AstraZeneca par la société Siam Bioscience, détenue par la Couronne, qui est à la fois en retard et fournit beaucoup moins de doses que prévu. L’option AZ explique pourquoi la Thaïlande a été le seul pays à refuser de rejoindre le programme COVAX de l’Organisation mondiale de la santé, et aussi pourquoi Prayuth et son gouvernement ont laissé passer l’option d’acheter en 2020 des vaccins à ARNm comme Pfizer et Moderna que les Thaïlandais réclament maintenant à cor et à cri.
Le gouvernement et ses contribuables ont payé la plupart des mises à niveau de Siam Bioscience, qui n’avait jamais produit de vaccin auparavant.
Seuls 4,5 % de la population ont été vaccinés, alors que l’on reproche aux élites bien placées, considérées comme responsables de l’épidémie en raison de leur fréquentation des complexes de divertissement et des maisons closes, d’avoir utilisé leurs relations pour se faire vacciner avant les personnes dans le besoin, les personnes vulnérables et les travailleurs médicaux de première ligne.
Economie très affaiblie
Les restrictions mises en place au cours des 18 derniers mois ont gravement affaibli l’économie. Le PIB de la Thaïlande s’est contracté de 6,1 % en 2020, le PIB par habitant ayant diminué de 600 dollars entre 2019 et 2020, selon les données de la Banque mondiale. La Banque de Thaïlande prévoit que la croissance du PIB en 2021 sera ramenée à 1,8 %, une estimation faite avant la réintroduction des restrictions en réponse à la hausse spectaculaire des cas de Covid, qui avoisinent désormais le niveau de 10 000 par jour.
Le taux de chômage officiel de la Thaïlande est passé à 1,96 %, soit 760 000 personnes, au premier trimestre de 2021, bien que ce chiffre soit trompeur. Deux millions de personnes supplémentaires sont sans emploi dans le secteur informel. La pauvreté est en hausse, passant de 7,2 % en 2016 à 8,8 % en 2020. Alors que la consommation globale des ménages a augmenté, la consommation des ménages des 40 % les plus pauvres a diminué.
Dans le même temps, 38 des 50 familles les plus riches de Thaïlande ont augmenté leur valeur nette. Selon la liste Forbes des 50 familles les plus riches, les frères Chearavanont, du Charoen Pokphand Group (CP), ont augmenté leur fortune de 2,8 milliards de dollars US, pour atteindre 30,2 milliards de dollars US au cours des 15 derniers mois. Chareon Sirivadhanabhakdi, du Thai Beverage Group, a vu sa fortune passer de 10,5 à 12,7 milliards de dollars. La famille Chirathivat, qui contrôle le Central Group, a vu sa fortune passer de 9,5 milliards de dollars à 11,6 milliards de dollars. Sarath Ratanavadi, du Gulf Energy Group et d’Advanced Info Services (AIS), a augmenté sa fortune de 8,9 milliards de dollars US. Les magnats thaïlandais de la santé ont tous considérablement augmenté leur fortune. La famille Sincharoenkul, à l’origine du groupe Sri Trang, qui fabrique des gants en caoutchouc, figure pour la première fois sur la liste. Bancha Ongkosit, dont le groupe KCE Electronics, qui fabrique des cartes de circuits imprimés, a fait son entrée dans le classement.
L’indice boursier thaïlandais a augmenté de 43 % au cours de l’année écoulée, contribuant à accroître la richesse de la plupart des familles de l’élite thaïlandaise.
Malaise économique
Les signes de malaise économique sont clairement visibles dans tout le pays. Des usines et des entrepôts vides, des magasins fermés, des maisons et des terrains à vendre parsèment le paysage urbain. Les organisations caritatives ouvrent de nouvelles banques alimentaires pour aider ceux qui ont du mal à se nourrir. Les travailleurs de l’industrie du sexe, dont le nombre est estimé à environ 500 000 et qui, en tant que groupe, contribuaient à hauteur de 6,4 milliards de dollars, soit 3 % du PIB avant la pandémie, n’étaient pas éligibles à l’aide publique, leur profession étant jugée illégale. Lors de la première épidémie, la plupart ont utilisé leurs économies. Au cours de la deuxième épidémie, beaucoup ont emprunté à des amis ou à des prêteurs d’argent, et l’épidémie actuelle fait de nombreux indigents. Les travailleurs de Bangkok, des principales villes de province et des zones touristiques sont retournés dans leurs provinces d’origine, à la recherche d’une activité économique leur permettant de générer un revenu.
Le même phénomène se produit dans de nombreuses villes de province, notamment celles qui dépendaient du tourisme pour survivre. Certaines, comme Hat Yai, qui comptait sur les touristes malaisiens, sont pratiquement des villes fantômes dans les centres-villes. Seule la hausse des prix du caoutchouc a permis aux petites villes de rester dynamiques.
Remerciements à Michel Prévot