Bangkok, mardi 16 novembre. Les supporters de Thaksin Shinawatra auront tout tenté pour garder le pouvoir. Sans succès. Même l’apparition sur grand écran du « messie » dans un stade plein à craquer n’aura pas suffi. Les Démocrates, discrètement tapis dans l’ombre de la PAD (People Alliance for Democracy), ont attendu leur heure pour revenir aux affaires par la petite porte, après sept ans d’humiliation électorale.
KO technique à la quatrième reprise !
Après avoir observé l’éviction forcée de trois Premiers ministres « rouges » – Thaksin-Samak-Somchai -, les jaunes ont finalement remporté une belle victoire, sur le tapis. Bien aidés, il est vrai, par la trahison de factions politiques jusqu’alors fidèles à Thaksin qui ont supporté le candidat démocrate Abhisit Vejjajiva, élu à la tête du gouvernement, lundi, lors d’une session extraordinaire du Parlement.
Une trahison familiale sans grande surprise. L’histoire politique du royaume fourmille d’exemples de coalitions qui se sont faites et défaites selon le système bien rodé du «une fois toi, une fois moi». Elle a seulement mis, cette fois, du temps à se concrétiser, tant l’emprise du clan Shinawatra sur la vie politique du pays fut aussi grande que son appétit pour les affaires. Trop sûrement. Ses opposants et leurs puissants soutiens ont utilisé tous les stratèges possibles pour le neutraliser, jusqu’à paralyser à moitié le pays (sous l’œil stupéfait des démocraties occidentales).
Ce retour à l’Ordre établi, fermement arbitré, n’indique pas pour autant de changement de cap dans la vie décidemment bien agitée du royaume, ni l’émergence d’une peu démocratique «nouvelle politique» prônée par des leaders de la PAD qui ont rangé, comme après le coup d’Etat de 2006, leurs convictions en même temps que leurs bâtons. On a aussi peine à croire, en écoutant Newin, l’ancien fidèle lieutenant de Thaksin, que ce dénouement de soap-opéra a été dicté par « l’intérêt national » dans un pays qui doit, lui aussi, se mobiliser pour limiter l’impact de la première grande dépression de ce XXIe siècle.
Si la nouvelle coalition au pouvoir n’apaisera pas les tensions politiques sur le moyen et long terme, elle amènera peut-être une stabilité anxieusement attendue par tous les acteurs socio-économiques. A condition qu’elle en ait le temps. L’inconnue, à l’heure où Abhisit doit former son gouvernement, est la réaction des «rouges» à ce que certains ont appelé un «coup d’Etat parlementaire». Thaksin va-t-il se résigner ou contre-attaquer ? Son message enregistré l’autre soir – religieusement écouté par des dizaines de milliers de supporters brandissant des portraits à son effigie – où il a fustigé les «traitres» et l’armée «qui doit arrêter de faire pression sur les députés», montre que le milliardaire, acculé, veut rendre coup pour coup.
C’est vraiment fini, « boss » ?
En a-t-il encore les moyens ? Ne manque-t-il pas aujourd’hui de soutien, d’argent ? Les rouges de l’UDD (United Front of Democracy against Dictatorship) et de la DAAD (Democratic Alliance Against Dictatorship) sont-ils capables de monter des actions spectaculaires comme l’a fait la PAD pour paralyser, à leur tour, le fonctionnement de l’Etat ? Il leur faudrait pour cela des soutiens, qu’ils n’ont pas.
Il y a plus à parier qu’ils opéreront un retrait stratégique pour unifier leurs forces (restées loyales), avant d’utiliser l’arme qui les a jusqu’à maintenant toujours remis en selle depuis 2001: le vote populaire.
Dans moins de trois mois, les députés qui ont perdu leur siège suite à la dissolution de leur parti seront remplacés lors d’élections partielles. Les sympathisants pro-Thaksin n’auront peut-être pas besoin cette fois d’être « poussés » vers les bureaux de vote pour exprimer leur mécontentement d’avoir été pris pour de simples spectateurs lors de la récente distribution des cartes.
Même si cela ne leur suffira pas à renverser la majorité parlementaire, ces élections seront un nouvel indicateur pour le gouvernement, qui pourrait alors voir sa marge de manoeuvre se fragiliser. D’autant que ce dernier va être confronté à une assourdissante gronde sociale, si les effets de la crise mondiale se font sentir en Thaïlande, comme il est annoncé, en 2009. Licenciements, précarité, pertes de revenus toucheront les plus démunis – classes ouvrières et paysannes -, mais aussi les employés du tertiaire (services, tourisme) et du secteur public.
Les grèves et manifestations anti-gouvernementales serviraient alors de terreau aux pro-Thaksin si le gouvernement n’arrive pas à apaiser les tensions sociales. Un scénario qui provoquerait probablement sa chute. Les Thaïlandais seraient de nouveau appelés à élire leurs représentants. Et les politiciens à choisir leur camp…
Philippe Plénacoste