Ozgur Kar – Snake charmer

« Ghost 2565 : Live Without Dead Time » est un festival des arts audiovisuels et de performances qui réunit une dizaine d’artistes thaï et internationaux. Cette série prend Bangkok – son centre historique en particulier – comme parchemin physique et métaphorique des visions qui tente de révéler des histoires individuelles dans cette ville fantasmagorique. Rencontre avec la créatrice Christina Li.

Quel est le fil conducteur de Ghost 2565 ?

La principale inspiration de cet événement est la ville de Bangkok elle-même. Quand je suis venue en novembre dernier j’ai réalisé que cette ville a tellement de narratifs hétérogènes que chacun cherche à raconter sa propre histoire, sa propre version de Bangkok qui, malheureusement, est absente de la version narrative officielle.

Il y a autour de nous une multitude de façons de voir le monde, de vivre, de rêver. J’ai donc cherché des histoires, des idées qui tentent d’échapper ou de résister à cette narration officielle car elles ont aussi besoin d’être entendues.

À travers les œuvres présentées, on ressent un questionnement sur le sens de la vie dans les villes modernes.

C’est très exact et c’est illustré par le choix du thème de Ghost 2565 « Vivre sans temps mort ». Il est inspiré par les événements de mai 68 qui traduisent la volonté des Français de revendiquer leur propre individualité en contestant le pouvoir hégémonique du consumérisme, des médias ou de l’État… Et j’ai trouvé que ce slogan était en 2022 plus que jamais d’actualité parce qu’il semble que l’on soit dans une impasse où la routine nous aveugle. Cet événement est une sorte de piqure de rappel qui dit qu’il est possible de trouver sa place et de vivre avec plus d’authenticité.

Tulapop Saenjaroen – Mangosteen, 2022 – Baan Trok Tua Ngork

La société moderne est-elle source de lutte entre la mémoire du passé et la pleine conscience de la vie quotidienne ?

Ce que j’ai ressenti en faisant mes recherches ici c’est que si l’on va aux Musées ou si on lit des livres sur l’histoire de la Thaïlande, du patriotisme thaï, de la Thaïness, le vocable est toujours unique.

Quand vous parlez de la mémoire je pense que c’est très important. Il y a une multiplicité de mémoires individuelles qui sont le moteur de vie de chaque personne. Comment vivre dans un cadre dicté ou comment réduire l’impact de ce cadre, quelle est la place de sa propre histoire dans le conformisme de la vie quotidienne ? Ce sont les questions que suggèrent les travaux des artistes.

En Thaïlande et à Bangkok, on voit des histoires de survie car beaucoup de gens travaillent très dur pour survivre. Mais je veux aussi parler de ce que signifie vivre. Je pense que vivre, c’est aussi avoir des souvenirs, pouvoir raconter sa propre histoire, c’est être vivant et non pas survivre.

World Travel Service – Charoenkrung Road

Quel est l’avenir du monde moderne ?

La modernité est de plus en plus remise en question dans le monde entier. Elle a eu un impact sur la survie des gens mais le plus important est de se dire aujourd’hui « que pouvons-nous apprendre de cela ? ». La société va continuer d’évoluer et de progresser et la question maintenant est d’en avoir conscience et d’être plus responsables. La gentrification est une manière très contemporaine de regarder les forces de la modernisation.

Nous avons choisi World Travel Service et Baan Trok Tua Ngork pour accueillir certaines des œuvres parce que le Vieux Bangkok est une une sorte de capsule temporelle, témoin du calendrier de la temporalité. L’agence de voyage World Trade Service est l’illustration de cette collision apportée par la modernité. Lorsqu’elle a été créée en 1957, elle incarnait l’ouverture de la Thaïlande au monde moderne. La Covid a changé leur paradigme parce que le voyage physique n’était plus possible et qu’ils n’avaient pas su prendre le virage technologique. Ils sont devenus obsolètes.

La modernité de la Thaïlande n’est pas à discuter, elle est visible partout. Ce qui m’intéresse c’est la dualité entre l’image et la réalité, quelles sont les histoires qui se perdent dans cette friction. En révélant les histoires des artistes Thaïlandais et internationaux je veux montrer qu’il y a une universalité dans cette lutte qui doit conduire à construire une communauté meilleure.

Revital Cohen & Tuur Van Balen – Heavens

Christina Li est une curatrice et une écrivaine qui travaille entre Hong Kong et Amsterdam. En tant que directrice de Spring Workshop, Hong Kong (2015-17), elle a été commissaire de projets tels que A Collective Present (2017), Wu Tsang : Duilian (2016), et Wong Wai Yin : Without Trying (2016).

Parmi ses expositions récentes, citons Pilvi Takala : Close Watch, Pavillon de la Finlande à la 59e Biennale de Venise (2022), Xinyi Cheng : Seen Through Others, Lafayette Anticipations, Paris (2022) ; …pausing barely, barely pausing…, A Tale of A Tub, Rotterdam (2021) ; Palms, Palms, Palms, Z33, Hasselt (2020) ; Shirley Tse : Stakeholders, Hong Kong in Venice, la présence de Hong Kong à la 58e Biennale de Venise (2019) ; et Dismantling the Scaffold, Tai Kwun Contemporary, Hong Kong (2018).

Les écrits de Li ont été publiés dans Artforum, Art Review Asia, LEAP, Parkett, Spike, et Yishu Journal of Contemporary Art, entre autres.

“Ghost 2565: Live Without Dead Time” se déroule dans plusieurs lieux à travers Bangkok jusqu’au 13 novembre 2022

https://www.ghost2565.com/program/concept

Le Vieux Bangkok – Baan Trok Tua Ngork et World Travel Service
Patumwan – Jim Thompson Art Center et FAAMAI Digital Arts Hub
Lumphini – Galeries d’art Nova Contemporary et Bangkok Citycity Gallery

Solange Bailliart