La publication de notre roman-feuilleton «La Voie du farang» a conduit notre ancien chroniqueur François Dor à attirer notre attention sur son article consacré aux Nagas, paru en 2015 dans notre mensuel. Pour éclairer la lanterne de nos lecteurs, c’est un plaisir de le re-publier. Et n’oubliez pas de lire les prochains épisodes de «La voie du farang».
Un article tiré des archives de notre mensuel Gavroche, publié en juin 2015
Une explication des mythes.
Les mythes décrivent la création du monde, les actes des premiers humains. Mystérieux, ces récits semblent échapper à la raison et rester indéchiffrables. Cela est d’autant plus perturbant qu’ils constituent notre fondement, notre mémoire première. Cependant, basé sur cette science récente qu’est l’embryologie, un nouveau point de vue sur ces récits fondateurs montre qu’ils figurent la mémoire fœtale de l’embryogenèse. L’illustre cette courte série d’articles sur des mythes d’Asie du Sud-Est.
Le cordon ombilical, sa réminiscence, se voit représenté dans les mythes d’Asie du Sud-Est par un lotus, une liane, un pont de rotin, un lien, un pilon, un pilier de feu, un arc, un grain de riz gros comme une courge (cette liste est non exhaustive) ou, plus souvent, par un serpent, le fameux naga.
Gardien des eaux primordiales, du monde souterrain, médiateur entre le ciel et la terre, le naga apporte force, fertilité, richesse, pouvoir, souveraineté; il fonde et protège une vie, un territoire, une entité stable, enracinée et structurée. Cet être semi-divin prend la forme d’un grand serpent, voire d’un serpent à tête humaine.
N’est-ce pas là une définition qui pourrait être celle du cordon ombilical ?
Fiers et gros serpents
Ces fiers et gros serpents semblent indispensables à la protection des temples, et leur sont comme attachés charnellement. Et parce qu’ils sont les génies des eaux, les paysans thaïs nomment naak-hainam, « serpent naga donnant de l’eau », le système de mesure d’eau nécessaire à leur agriculture. Réminiscence du liquide amniotique dans lequel baigne le cordon, ce naga ? Ainsi ce sont ces serpents nagas que les Indiennes implorent pour mettre fin à leur stérilité.
En Asie du Sud-Est, l’humain reconstitue, divinise et honore inconsciemment dans le naga le cordon, la biologie utérine qui lui prodiguait à coup sûr vie et nourriture.
Angkor, ville des Nagas
De naga découle nagara, « ville, capitale »; Angkor est la forme khmère de ce terme sanscrit. Les ouvrages magnifiques d’Angkor, la puissance et la sérénité grandioses qui s’en dégagent suscitent l’admiration,l’enchantement. Plus, même, la grâce. Cette merveille fut le centre d’un empire colossal. Et ce mot nagara (ou Angkor), « capitale du cordon », nous indique que ce centre, c’est le nombril de l’embryon.
Le nombril de l’embryon constitue le centre du fœtus, sa capitale. C’est de là que surgit ce « naga divin », son cordon qui lui prodigue à satiété une vie « éternelle ».
Pour construire sa ville, l’humain va reconstituer inconsciemment ce centre nagara qui le construisait fœtus. Cette analyse est corroborée par les pratiques de nombre d’autres peuples, où leur ville capitale constitue tout autant le « centre du monde », Tenochtitlan chez les Aztèques, Cuzco chez les Incas, Delphes en Grèce, Jérusalem pour les Hébreux, etc., toutes villes « nombril du monde » à l’instar d’Angkor. Nombrils du monde fœtal « reconstruits ».
Tous ces peuples obéissent à leurs mythes, c’est-à dire à leur mémoire inconsciente de la vie fœtale. Celle-ci leur indique que leur nombril fœtal constitue le centre du monde. Et donc sa reconstruction inconsciente nagara : Cette structure prodigue la vie, se rappelle l’humain.
Bank Negara Malaysia
« Bank Negara Malaysia » (« Banque Centrale de Malaisie »), lisons-nous sur les billets de banque de ce pays. De même que le nombril prodigue la vie belle au fœtus, de même sa réminiscence inconsciente, ce negara, va-t-elle prodiguer un argent de bon aloi au porteur de ces billets, s’adjure-t-on.
Rencontrer un serpent naga, c’est se trouver face à une réminiscence du cordon.
« Les Chinois n’ont jamais distingué nettement le dragon du serpent »1 : « Li Shizen dit : « dans les sûtra, le dragon s’appelle naga ». 2» Quasiment tous les peuples présentent dans leurs contes des serpents mythiques. Quasiment tous les peuples ont mémoire du vécu fœtal, de ce cordon ombilical. Et l’origine très lointaine de ce fameux naga, mot sanscrit, pourrait bien venir de l’Égypte ancienne, où Na désigne l’océan primordial d’où émerge toute vie, et Ka la force vitale protectrice de l’être, Ka parfois figuré par un serpent. Quelle meilleure définition du naga?
François Dor
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