Les archives de notre mensuel nous offrent quantité de reportages, tant Gavroche s’est depuis près de 30 ans promené partout en Thaïlande. Cette fois : l’école de massage du Wat Pho.
“Une brutale expérience”. C’est ainsi que la délégation française envoyée par Louis XIV commentait les massage à Ayuthaya. C’était en 1690… Au royaume du Siam, on pratiquait déjà cette thérapie depuis plus de 2 000 ans. Aujourd’hui encore, la tradition et les techniques se transmettent de génération en génération. Au temple Wat Pho de Bangkok, une école de massage traditionnel accueille amateurs et professionnels.
Massage californien et turc, science aromatique, Ashiatsu japonais, massage thaïlandais. Patrice veut tout apprendre. Expatrié à Londres, ce Français de 31 ans était au départ spécialiste du massage suédois. Il a entrepris un tour du monde des massages. Première étape : Bangkok. C’est au Wat Pho qu’il a trouvé le lieu idéal pour apprendre le massage traditionnel thaïlandais. Certes, Wat Pho est un temple bouddhique, l’un des plus visités de Thaïlande, mais c’est aussi le lieu d’une des plus fameuses écoles de massage au monde.
Toutefois, dans l’enceinte du temple, rien ne distingue vraiment l’école des autres bâtiments. Les mêmes murs blancs, les mêmes toits tricolores se dressent. Le visiteur inattentif pourrait passer sans rien voir, tout juste photographierait-il quelques statues un peu à l’écart représentant des scènes de massage… Pourtant, l’école est bien là. A l’intérieur de deux bâtiments, des professeurs en polos jaunes enseignent la pratique du massage traditionnel thaïlandais comme le faisaient les générations précédentes. Néanmoins, c’est en Inde du nord qu’il faut chercher l’origine du massage thaïlandais.
Il y a plus de 2 500 ans, Maître Chivoak Kormar Phaj élabora une technique pour soulager le corps humain des souffrances. Courbatures, problèmes de circulation sanguine, élongations s’atténuaient ou disparaissaient sous l’action d’un massage énergique. En plus d’être le médecin personnel du Roi Bimbisara. Il était aussi disciple de Bouddha et toute sa thérapie s’imprégna alors de l’enseignement de l'”Illuminé”… Cette union entre l’esprit et le corps n’est pas surprenante quand on sait que le but suprême du bouddhisme est la suppression des souffrances physiques et morales de tous les êtres vivants. Le Bouddhisme, au fil des siècles traversa les frontières. Avec lui, la pratique du massage se répandit dans tous les pays convertis. Les temples thaïlandais, véritables gardiens de la mémoire du royaume perpétuent de ce fait la tradition du massage.
Ainsi depuis 1832, Wat Pho offre la possibilité à toute personne d’apprendre le massage. L’école est aussi ouverte à ceux qui désirent simplement se faire masser par des personnes passées maîtres en la matière. Pour Sunce Tumnork, professeur de massage au Wat Pho. “l’atmosphère des pagodes est propice au recueillement. Un bon masseur doit entrer en méditation avant toute pratique pour apaiser son corps. Il faut d’abord trouver calme et sérénité afin de transmettre au patient une énergie capable de lutter contre la douleur”. Toutefois, l’espace relativement étroit des deux bâtiments de l’école ne permet pas aux étudiants de pratiquer une méditation avant d’exercer le massage. Seul l’aspect technique est donc développé au travers de deux sessions de trente heures chacune.
“Le corps est traversé par 72 000 lignes d’énergie”
“Le massage thaïlandais est réellement une thérapie que insiste sur les centres nerveux de notre corps, explique Patrice. “J’entre dans un domaine totalement différent de ma pratique occidentale.” En utilisant les principes chinois du yin et du yang. le massage thaïlandais cherche à distribuer l’énergie à travers tout le corps afin de créer une harmonie intérieure.
Cette énergie est véhiculée par ce que l’on appelle des “lignes d’énergie” ou “sen”. Le stress, une vie agitée perturbent et entravent ces 72 000 lignes. Le déséquilibre intérieur ainsi créé provoque des douleurs plus ou moins importantes.
L’école de massage de Wat Pho apprend à trouver le long de ces lignes d’énergie des points essentiels, qui sont de véritables fenêtres, par lesquelles passe l’énergie du masseur. Toutefois, la pratique thaïlandaise ne se concentre que sur les dix principales lignes de notre corps.
La première leçon enseignée au Wat Pho apporte la connaissance des bienfaits de chaque mouvement. Au début de chaque séance, l’étudiant se fait masser. “Nos sens sont alors en phase réceptive”, explique David, un étudiant américain en fin d’apprentissage. “Ensuite, nous refaisons exactement les mêmes gestes et nous savons ainsi ce que cela procure.” Pour le docteur Sanit, professeur au Wat Pho, “le massage est un acte d’amour et de compassion”. La phrase a de quoi surprendre quand on sait de quelle manière “énergique” les massages traditionnels sont exécutés ! “Il doit tuer la douleur et apporter joie et bien-être,” ajoute-t-elle. Pour cela, tout le corps est mis à contribution. “On commence par les pieds puis on remonte le long du corps”, précise Joseph, un étudiant américain de trente ans. “Ainsi on a vraiment l’impression de sentir une force nous envahir : parfois, j’ai la sensation d’avoir pris un grand bol de vitamines.”
Wat Pho enseigne surtout le massage populaire qui consiste à masser avec les doigts, mais aussi avec les différentes parties du corps : coude, pied, genou, avant-bras… “Un des nombreux avantages du massage avec le pied est d’agir plus profondément, explique le professeur Sunce. Cela facilite la circulation du sang en faisant pression sur les artères” Le sérieux de l’école de massage du Wat Pho a largement contribué à promouvoir le massage thaïlandais dans le monde. Cela a effacé en partie la confusion trop souvent faite entre massage et sexe. Peu pratiquée dans les pays de culture latine, la technique du massage thaïlandais attire pourtant de plus en plus d’Occidentaux.
Toutefois, au Wat Pho, tous ne veulent pas forcément devenir professionnels. Joseph, lui, veut simplement apprendre “pour le fun… c’est sympa à faire pour ses enfants ou ses amis. En Thaïlande, dans les campagnes, il est courant de voir de jeunes enfants masser leurs grands-parents. Je pense que cela demande beaucoup de générosité, car avant tout. c’est transmettre la force que l’on a en soi.”
Entre pratique thérapeutique et réflexion bouddhique, l’école du Wat Pho délivre un véritable enseignement imprégné de philosophie orientale. Un héritage pluri-millénaire à portée de main !
Laurent Bailliard