Pendant sept ans, l’amiral Suriya Pornsuriya a commandé une division sous-marine qui n’avait pas un seul sous-marin. Avec l’acquisition prochaine de trois sous-marins chinois, le destin de cet officier supérieur, retraité depuis 2017, va radicalement changer. L’amiral ne commandera pas l’un des submersibles, mais il plaide pour leur achat très controversé qui vient d’être approuvé. La Thaïlande a signé le contrat pour acheter trois sous-marins à la Chine dans le cadre d’un accord “3 sous-marins au prix de 2” en 2017, avec un budget total déclaré de 36 milliards de bahts. Un versement de 13,5 milliards de bahts a déjà été effectué pour le premier sous-marin, qui devrait être livré en 2023.
Le vice-premier ministre Prawit Wongsuwan a déclaré lundi 24 août qu’il n’était pas impliqué dans la décision du Parlement thaïlandais d’approuver l’acquisition de deux sous-marins de fabrication chinoise, dans un contexte de difficultés économiques causées par le coronavirus.
Le général Prawit a également insisté sur le fait que l’acquisition se déroulerait comme prévu, malgré l’affirmation du parti Pheu Thai selon laquelle le contrat est illégitime. Une déclaration qui a fait un heureux: l’Amiral à la retraite Suriya Pornsuriya, artisan de cette acquisition.
“C’est l’arme de rêve de tout officier de marine”, explique ce dernier, aujourd’hui retraité à 61 ans. Sur un mur du salon, l’Amiral pose sans surprise en grand uniforme de la marine, depuis le pont d’un sous-marin allemand. Suriya espérait que son gouvernement l’achèterait. Il ne l’a pas fait. Changement depuis 2017, date du premier feu vert du gouvernement à l’achat de sous-marin chinois: même si le prix de la flotte de sous-marins – qui serait de 36 milliards de bahts – suscite toujours de vives critiques sur le manque de transparence, la décision d’équiper la marine thaïlandaise de submersibles renoue selon lui avec l’histoire.
Les sous marins de 1937
La Thaïlande a en effet eu des sous-marins dans le passé. En 1937, elle a acheté quatre navires à l’Empire du Japon, alors une puissance militaire croissante. Ils ont été mis hors service en 1951 après que la marine ait tenté – et échoué – à renverser le gouvernement dirigé par l’armée.
Depuis près de sept décennies, la Marine royale thaïlandaise n’a pas réussi à retrouver sa gloire. En 1995, elle a mis fin à une affaire presque conclue pour en acheter deux à un fabricant suédois après que des allégations de corruption aient été soulevées. Un plan pour 2011 visant à acheter une flotte “d’occasion” à l’Allemagne à un coût relativement bas de 7 milliards de bahts a ensuite été mis en veilleuse. “C’est comme s’il y avait une malédiction sur nous”, explique l’amiral à la retraite, rencontré par le site d’information Khao Sod et quelques journalistes étrangers. “Chaque fois que nous avons essayé d’acheter un sous-marin, il y avait toujours un problème qui nous empêchait de le faire.”
C’est en août 2015, deux mois avant sa retraite, que Suriya et son équipage ont soumis leur proposition de commander trois sous-marins chinois de classe Yuan au commandement naval. Un achat justifié ? «Oui plaide l’officier. Un sous marin, en mer de chine du sud , est une arme de dissuasion. La Malaisie s’est bien dotée de sous-marins français (de classe Scorpène)» Ce que tourne en dérision l’ancien commissaire de police Seripisut Temiyavet, réputé dans les années 90 pour son combat anti-corruption: “Pourquoi l’État doit-il acheter des chars, des véhicules blindés ou des sous-marins ? Je n’ai jamais vu une arme dans nos forces armées être utilisée dans un combat avec quelqu’un” ironise ce dernier.
Réticences des États-Unis
L’une des motivations pour l’achat de sous marins, selon l’amiral Suriya est la réticence actuelle des États-Unis à continuer de jouer le rôle de protecteur des détroits d’Asie du sud est. “Les États-Unis se préoccupent d’abord de leurs propres intérêts. Si l’intérêt n’est pas suffisant pour qu’ils interviennent en notre nom, ils ne le feront pas. C’est pourquoi nous devons nous débrouiller seuls.”
Lors d’une conférence de presse lundi 24 août, le porte-parole de la marine Prachachart Sirisawat a déclaré que la situation dans la mer de Chine méridionale a prouvé qu’une forte puissance navale est nécessaire pour sauvegarder les intérêts nationaux. “Si nous n’avons pas une puissance maritime, serons-nous capables de négocier pour nos intérêts nationaux ?”
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