Une initiative diplomatique inédite s’est déroulée lundi 27 février à Bangkok. Les ambassadeurs des pays de l’Union Européenne ont rencontré le Chargé d’affaires ukrainien Pavlo Orel pour réaffirmer que « l’UE est aux côtés de l’Ukraine et de son peuple » et pour condamner « l’agression russe contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine ».
Les délégations de l’UE et celles de l’Australie, des Etats-Unis, du Canada, du Royaume-Uni, de la Norvège et du Japon ont également délivré un message clair au Ministère des Affaires étrangères du royaume de Thaïlande : « l’invasion de l’Ukraine par la Russie viole la charte de l’ONU et tous ses membres, y compris la Thaïlande devraient s’exprimer pour sauver notre ordre international basé sur des règles ». Ce travail de pédagogie avait commencé la semaine dernière avec la publication dans le Bangkok Post d’une tribune « La Russie n’est pas juste le problème de l’Europe », co-signée par Georg Schmidt et Thierry Mathou, respectivement ambassadeurs d’Allemagne et de France en Thaïlande. Rappelons que les autorités thaïlandaises n’ont pas condamné de manière officielle l’agression russe en Ukraine, de même que l’ASEAN qui, dans son communiqué du 26 février, se dit concernée « par des hostilités armées » sans utiliser le mot guerre et en ne citant à aucune reprise la Russie.
Les raisons du mutisme thaïlandais à propos de la Russie
La Thaïlande contemporaine pratique la « diplomatie du bambou » en évitant de s’aligner sur une grande puissance et en tirant profit de ses bonnes relations avec chacune d’elles, tout en jouant de leurs rivalités. Elle entretient de bonnes relations avec la Russie depuis l’amitié entre le roi Chulalongkorn et le tsar Nicolas II. Outre les affaires commerciales entre les deux pays, environ un million de touristes russes se rendaient chaque année en Thaïlande avant la pandémie, principalement à Pattaya et à Phuket. Mais avec les sanctions annoncées, la reprise de l’industrie touristique limitera sans aucun doute leur arrivée comme ce fut le cas en 2014 après l’annexion russe de la Crimée. Avec une vision autoritariste du concept de démocratie, la Thaïlande des militaires a souvent un discours politique qui fait l’éloge de la force. Il n’est donc pas surprenant de trouver sur les réseaux sociaux des messages faisant état du sentiment pro-russe. Même si certains internautes autochtones se sont émus de l’agression russe avec le hashtag #StandWithUkraine. Le Premier ministre Prayut aura fort à faire en novembre prochain, date où la Thaïlande doit accueillir le sommet de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique). La Russie en est membre depuis 1998. Il apparaît peu vraisemblable que les pays occidentaux qui font partie de ce forum acceptent sans garanties d’y participer et de se plier au bambou thaïlandais.
Philippe Bergues
Le bambou thaïlandais n’a pas grand-chose à craindre du tigre de papier occidental.