Notre collaborateur et chroniqueur Ioan Voicu suit attentivement les questions géopolitiques régionales. Il se penche ici sur les mérites, et les faiblesses, de la diplomatie Thaïlandaise.

Observations préliminaires

Pour les personnes familières avec la politique étrangère de la Thaïlande, il est évident à l’heure actuelle que la Thaïlande est confrontée à un tournant critique dans la politique mondiale. Après la fin de la pandémie de Covid-19 et confrontée désormais à une forte perturbation économique et technologique, elle se retrouve en pleine mutation des rapports de force régionaux. Bien qu’il ne soit pas impératif pour la Thaïlande de choisir son camp entre les États-Unis et la Chine, le gouvernement thaïlandais actuel, qui met en avant de manière rhétorique une relation équilibrée et bonne avec les grandes puissances, semble en réalité se rapprocher de la Chine, bien qu’il soit un allié du traité américain.

À la lumière de cette situation, les lecteurs de Gavroche méritent de savoir de la source la plus autorisée quelles sont les priorités de la diplomatie thaïlandaise en 2022 dans le domaine multilatéral. Par conséquent, nous essaierons de présenter dans ces pages l’opinion du chef de la diplomatie thaïlandaise, IL. M. Don Pramudwinai Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères de Thaïlande lors du débat général de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), telle qu’exprimée le 24 septembre dernier à New York.

La déclaration de cet éminent orateur a commencé par l’affirmation que nous sommes à un moment décisif, en tant que communauté internationale et que l’ONU se tient à un point où les décisions à prendre et les actions à mener peuvent façonner le monde et avoir un impact sur le cours de l’humanité pour les années à venir. Mais cela doit être fait ensemble, guidé par des intérêts communs et basé sur le respect mutuel.

Les problèmes mondiaux tels qu’interprétés par la Thaïlande

Il semble qu’au niveau mondial, la pandémie de COVID-19 n’ait fait qu’exacerber les écarts d’inégalité et qu’elle ait annulé au moins quatre années de progrès en matière de développement. Et ce qui s’est passé à un moment où le monde tente de se remettre des deux années de pandémie, les problèmes existants sont aggravés par de multiples défis.

Quels sont ces défis ?

Dans une courte énumération, ils sont :

De nouveaux conflits s’ajoutant à la tension géopolitique mondiale ; la crise alimentaire, la crise énergétique et la crise financière. Celles-ci ont eu l’impact le plus préjudiciable sur les pays et les peuples les plus vulnérables et en particulier sur des groupes tels que les femmes, les filles, les personnes âgées et les personnes handicapées. Cette réalité exige une action collective.

Une attention particulière doit être accordée à l’insécurité sanitaire. Une bonne santé pour tous est essentielle. Et c’est pourquoi la «couverture sanitaire universelle» devrait être une priorité absolue pour tous. Cela nécessite de garantir l’accès à des services de santé essentiels de qualité et l’accès à des médicaments et vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et abordables pour tous. Il est nécessaire de continuer à investir dans la promotion d’un système de protection sociale plus inclusif pour tous, comme l’a demandé le Secrétaire général de l’ONU dans le rapport « Notre agenda commun ».

L’architecture mondiale de la santé doit être réformée, tant sur le plan structurel que fonctionnel, pour remédier aux lacunes actuelles et aux défaillances systémiques des systèmes de santé. La Thaïlande soutient pleinement l’élaboration d’un instrument international juridiquement contraignant sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies dans le cadre de l’OMS, et ce nouvel instrument juridique doit placer «l’équité» en son cœur pour garantir «l’autonomie» des pays en développement face aux pandémies , notamment en renforçant leur capacité à fabriquer certaines contre-mesures médicales.

Priorité des objectifs de développement durable

Il ne reste plus que huit ans pour atteindre les objectifs de développement durable . Il est important d’utiliser tous les outils à disposition de la science, de la technologie et de l’innovation pour travailler en partenariat à tous les niveaux, car sans développement durable, il n’y a pas d’avenir. Pour cette raison, il est nécessaire de promouvoir la coopération Nord-Sud et Sud-Sud et l’intégration de l’Agenda 2030 avec d’autres cadres de coopération, tant au niveau mondial que régional. Dans ce contexte, la CESAP et l’ASEAN s’emploient à renforcer la complémentarité entre le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et la Vision 2025 de l’ASEAN. La Thaïlande a accueilli l’Exposition mondiale sur le développement Sud-Sud avec la CESAP et le Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud à Bangkok, démontrant ainsi l’importance accordée à la coopération pour le développement, en particulier entre les pays en développement.

En outre, la Thaïlande a également adopté le modèle d’économie bio-circulaire-verte comme moyen de parvenir à un développement plus équilibré dans cette phase de reprise et est prête à travailler avec la communauté internationale pour contenir la triple crise planétaire du changement climatique, de la pollution et de la biodiversité.  La Thaïlande s’est engagée à promouvoir la coopération internationale pour la protection de l’environnement, notamment dans le cadre des négociations sur le Cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020 et l’instrument international juridiquement contraignant sur la pollution plastique.

 Renforcer le multilatéralisme

La Thaïlande agit pour restaurer la foi et la confiance dans le système multilatéral et le système des Nations Unies. Une étape importante pour y parvenir consiste à inverser la polarisation en travaillant plus étroitement sur des questions qui rassemblent tous les pays. Répondre aux préoccupations humanitaires est l’une de ces questions.

Comme annoncé expressis verbis par S.E. M. Don Pramudwinai,  la Thaïlande, continuera de travailler en étroite collaboration avec la communauté internationale, en tenant compte des besoins du pays touché, pour relever les défis humanitaires urgents par le biais d’efforts bilatéraux, régionaux et multilatéraux, conformément aux principes humanitaires clés sans politisation.

Quant à la Birmanie, la Thaïlande a travaillé avec des partenaires pour fournir une aide humanitaire au peuple du Myanmar dans le besoin par le biais de divers programmes au niveau bilatéral, y compris le don d’un million de doses de vaccins COVID-19, et par le biais de l’ASEAN.

En tant que voisin immédiat avec la plus longue frontière terrestre, longue de 2401 km, il est dans l’intérêt vital de la Thaïlande de voir un retour rapide à la paix et à la stabilité en Birmanie.

Fervent partisan du multilatéralisme, la Thaïlande est prête à continuer de faire sa part pour promouvoir la coopération multilatérale et internationale à tous les niveaux. Le développement durable et les droits de l’homme sont étroitement liés et se renforcent mutuellement. Ils sont essentiels pour assurer un environnement de paix et de prospérité. La Thaïlande a présenté sa candidature au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour le mandat 2025-2027. La Thaïlande est également fermement convaincue qu’une coopération régionale étroite peut compléter le système multilatéral et renforcer l’agenda mondial.

Dans le domaine de la diplomatie multilatérale, en novembre de cette année, la Thaïlande accueillera le sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) avec le theme de “Open. Connect. Balance.”.

Un tel thème signifie la volonté de saisir toutes les opportunités, de se connecter dans toutes les dimensions et d’équilibrer tous les aspects. Cela souligne l’engagement de la Thaïlande à promouvoir la coopération multilatérale qui conduira à un développement plus équilibré et durable après la pandémie de COVID-19. La Thaïlande se réjouit d’accueillir les dirigeants mondiaux à Bangkok en novembre, car elle est entièrement ouverte et prête à accueillir à nouveau les visiteurs.

Conclusion
Dans la dernière partie de sa déclaration, S.E. M. Don Pramudwinai a déclaré : “Malgré les défis et les difficultés à ce moment critique de l’histoire de l’humanité, la Thaïlande continue de faire confiance au système multilatéral avec les Nations Unies en son centre. Et nous restons convaincus que la bonne volonté et les intérêts communs partagés de l’humanité nous aideront à prendre les bonnes décisions en ce moment décisif, afin que nous puissions avancer ensemble vers un avenir plus stable, durable et plus sûr, sans personne ni pays laissé pour compte ».

D’un ton optimiste S.E. M. Don Pramudwinai a affirmé : “Une percée possible pourrait être apparente au cours du mois de novembre – en tant que troisième semaine de l’avant-dernier mois de l’année – notre première et occasion en or pour tous les super- acteurs de la crise ukrainienne de se réunir sur trois sites en l’Asie du Sud-Est en tant que participants légitimes. Les trois lieux – un à Phnom Penh pour le sommet de l’ASEAN, un autre à Bali, Indonésie, pour le G20 et le troisième à Bangkok, en Thaïlande, pour la réunion des dirigeants économiques de l’APEC. Ils pourraient, séparément ou en série, servir de plates-formes de pourparlers les plus appropriées pour fournir une sortie ou une sortie possible à cette crise mondiale à haute tension en Ukraine.

Enfin, l’espoir a été exprimé que l’organisation  mondiale, l’ONU, avec tous ses rôles et mécanismes pertinents pour aider à sauvegarder la paix et la stabilité, se joindrait certainement à tout moment pour ajouter de la valeur à cette entreprise.

Ioan Voicu