Chutima Sidasathian est une journaliste thaïlandaise reconnue pour ses investigations dans les domaines économiques et sociaux, de même que dans la dénonciation d’affaires de corruption. Elle a partagé des prix régionaux des droits de l’homme et du journalisme d’investigation pour avoir dénoncé les « refoulements » inhumains des Rohingyas venus de Thaïlande en bateau en 2008-2009. Dans les années qui ont suivi, elle a été considérée comme la première à dénoncer la traite des êtres humains en Thaïlande. Elle a ensuite travaillé comme productrice sur le documentaire « Ghost Fleet » qui a révélé l’esclavage en mer sur les bateaux thaïlandais.
Son récent témoignage sur le site Asia Times montre comment Chutima Sidasathian a été victime des lois pénales abusives en matière de diffamation, en vigueur en Thaïlande. Premier exemple il y a dix ans, quand son média en ligne Phuketwan s’en était pris à la puissante marine royale thaïlandaise à propos de trafic d’êtres humains, en reprenant des éléments d’une enquête approfondie de Reuters qui avait valu à l’agence de presse le Prix Pulitzer. « Au lieu de s’en prendre à Reuters qui compte 10 000 fois plus de lecteurs, la marine royale avait choisi de s’en prendre aux petits, notre média Phuketwan » a déclaré Chutima. Criminalisés au tribunal, Chutima Sidasathian et Phuketwan avaient finalement gagné le procès intenté par les militaires.
Millions de bahts détournés
Deuxième exemple il y a trois ans : la journaliste s’est aperçue que des millions de bahts, destinés à aider les agriculteurs pauvres dans la province de Nakhon Ratchasima, avaient été détournés par certaines personnes aux responsabilités politiques locales. Jouant son rôle de lanceur d’alerte, Chutima a publié les faits et informé les villageois de leurs droits, à travers des messages sur Facebook. Fait surréaliste, la journaliste, pensant que la banque concernée par ces fonds la remercierait pour son audace citoyenne, a eu la surprise de constater que l’établissement financier avait dissimulé le vol de son propre argent.
Un élu local a poursuivi Chutima, non pas à cause du scandale, mais car il considérait que « certains messages étaient personnels et politiques ». Relaxée par le tribunal, l’élu local a intenté six nouveaux procès contre Chutima Sidasathian et un seul chef d’accusation a été retenu sur les six par le procureur. Pour un hashtag sur les réseaux sociaux, jugé diffamatoire. Le procès doit se tenir en 2026.
Les lois pénales sur la diffamation en Thaïlande sont-elles dignes d’un pays qui vient d’être élu au Conseil des droits de l’Homme aux Nations-Unies ? N’est ce pas un moyen de bâillonner les lanceurs d’alerte dont le journalisme dérange ? La réponse semble malheureusement claire…
Philippe Bergues
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