Ils ont longtemps porté sur leurs épaules l’église catholique de Thaïlande et seront au premier rang pour accueillir le pape François lors de sa visite du 20 au 23 novembre. Leurs histoires personnelles croisent nécessairement le destin de ce royaume dont ils parlent la langue, et auquel ils ont consacré leur vie. Gavroche a souvent rencontré les prêtres missionnaires français en Thaïlande. Notre magazine comptait d’avides lecteurs parmi l’équipe du 254 Silom Road, siège des Missions étrangères de Paris à Bangkok. Voici leurs portraits. Premier d’entre eux: le père Joseph Trebaol.
Un article extrait des archives de notre mensuel Gavroche, signé par notre regretté confrère Arnaud Dubus
Le père Joseph Trébaol aime à raconter. Et s’il hésite parfois sur une date, sa mémoire des épisodes, de lieux et des rencontres au cours des quelque 52 ans qu’il a passé au service des Missions Étrangères de Paris en Thaïlande ne laisse pas d’impressionner. Paul Mus écrivait dans Planète Vietnam que les missionnaires français étaient des « morceaux de l’histoire du pays », tant leur connaissance intime du lieu de leur mission, après des dizaines d’années passées sur place, était profonde. Et sans aucun doute, le père Joseph est un morceau de l’histoire de la Thaïlande, là où il est arrivé, jeune prêtre, le 23 août 1965.
De Brest aux rives du Chao Phraya…
Toujours une anecdote aux lèvres, prompt à l’humour, le père Joseph se souvient de ces premiers pas dans cette Thaïlande alors sous régime militaire et qui n’était pas encore la Mecque touristique qu’elle deviendra vingt ans plus tard.
« Après avoir appris la langue pendant un an, je suis parti dans une communauté chrétienne à Koh Yaï, sur les bords de la Chao Phraya, tout près d’Ayutthaya. Je me familiarisais avec le pays en faisant le catéchisme aux enfants et je célébrais aussi la messe en alternance avec le curé de la paroisse », raconte ce Breton né dans une famille rurale d’un village à une dizaine de kilomètres de Brest.
Le père Joseph découvre avec fascination cette Thaïlande provinciale.
Il n’en est toutefois pas à son premier séjour hors de France. Durant la guerre d’Algérie, il avait été appelé dans une division parachutiste dont il était en charge d’organiser le transport à Philippeville.
Ubon Ratchathani : les moments les plus forts de son long séjour thaïlandais
Rapidement, il est envoyé à Ubon Ratchathani comme prêtre de la paroisse dans cet extrême-est où il a fallu qu’il réapprenne, mais cette fois-ci sur le tas, une seconde langue, le lao parlé par les thaïs-Isan de la région.
Les quelque onze années qu’il passera dans cette région aux confins de la Thaïlande, du Laos et du Cambodge sont les moments les plus forts de son long séjour thaïlandais.
Les pères des MEP s’étaient installés à Ubon vers 1880, à une époque où les Français ne faisaient pas de distinction entre le nord-est thaïlandais et le Laos.
Pour eux, c’était tout simplement le Laos.
Très vite, les pères se montrent actifs et interviennent dans la façon dont fonctionne le système social local, encore sous le joug d’une hiérarchie archaïque.
«Les premiers prêtres se sont rendus compte qu’il y avait encore beaucoup d’esclaves dans les familles riches, malgré l’abolition de l’esclavage (par le roi Rama V en 1872, Ndlr). Ces pères ont intenté des procès et les esclaves ont dû être libérés», raconte le père Joseph.
Ces anciens esclaves s’installent dans la zone marécageuse où vivent les pères des MEP.
« Les missionnaires leur ont acheté des terres pour qu’ils puissent la cultiver, et ils sont devenus les premiers catholiques de la région », ajoute le prêtre.
Quand le père Joseph arrive, il y a plus d’une vingtaine de missionnaires pour servir la communauté catholique d’Ubon et des villages alentours, forte d’environ quatre mille fidèles.
« Parmi les Catholiques de l’endroit, il y avait pas mal de vietnamiens qui avaient fui leur pays dans les années 1940. Leurs enfants pouvaient aller à l’école, mais ils ne pouvaient pas obtenir de diplômes car ils n’avaient pas la nationalité thaïlandaise et ne pouvaient donc pas entrer à l’université », explique le père Joseph.
Parmi ces vietnamiens, il s’en souvient particulièrement d’un qui, lui, était parvenu à s’inscrire.
Sympathies communistes
« Mais il avait des sympathies communistes. Il a été emprisonné, libéré, et puis un jour, il a disparu. On ne l’a plus jamais revu. Probablement éliminé par le gouvernement d’alors », poursuit le missionnaire.
L’expérience qui le marqua le plus furent les années qu’il passa à travailler à partir de 1976 dans les camps de réfugiés près d’Ubon, où affluaient alors les Laotiens venant de Paksé ou de Savannakhet, dans le sud du Laos, ainsi que quelques Vietnamiens.
« En coordination avec l’ambassade de France, nous aidions ces réfugiés à préparer leur dossier pour demander l’asile politique en France. Et, avec l’aide de jeunes Laotiens qui avaient été lycéens au Laos, nous enseignions le français aux enfants », raconte le prêtre.
Les camps près d’Ubon accueillaient alors environ 42 000 réfugiés laotiens, auxquels s’ajoutaient les Hmongs et les Laotiens d’autres régions dans les camps de Baan Vinaï et de Baan Napho près de Nongkhaï.
Les missionnaires des MEP, chassés du Laos en décembre 1975 après la prise du pouvoir par le Pathet Lao à Vientiane, avaient rejoint les prêtres d’Ubon pour leur prêter main forte.
« Cette période au service des réfugiés laotiens est ce qui m’a le plus marqué dans toutes ces années en Thaïlande », confie le prêtre.
C’est aussi à cette époque que le royaume est politiquement déchiré, entre une partie de l’élite conservatrice et effrayée par la montée du communisme dans les pays de la région, des groupes étudiants gauchisants qui dénoncent l’alliance de cette élite avec les Américains et une guérilla communiste particulièrement active dans le nord-est.
1992 : retour à la Cité des Anges
Puis, à partir de 1992, c’est le retour à Bangkok en tant que « patron des MEP pour toute la Thaïlande », dans le centre du 254 rue Silom.
Il lui faut non seulement s’occuper de l’administration des dizaines de missionnaires présents dans le pays, mais aussi de la communauté catholique de Bangkok, composée en partie de Thaïlandais et en partie de résidents étrangers.
Une autre partie du travail est de gérer les nombreux coopérants envoyés auprès des MEP au titre du service national, avant que le président Chirac ne l’abolisse.
« Je les affectais auprès des prêtres dans les différentes régions, et le plus souvent ces coopérants devenaient enseignants en anglais dans les écoles thaïlandaises », explique le missionnaire.
Il continue toutefois à se rendre régulièrement dans la région nord-est, et, accompagné d’un ingénieur agronome, ils aident les agriculteurs thaïlandais à améliorer la culture des cannes à sucre dans la zone.
« Ils utilisaient pour les cannes à sucre le même engrais que pour le riz. Alors j’ai pris les choses en main et j’ai envoyé de Bangkok un camion avec le bon engrais à Sisaket », raconte-t-il.
Quand le service national est aboli, des jeunes volontaires continuent à venir auprès des MEP, mais souvent pour des périodes plus courtes.
« Trois mois, c’est du tourisme, lance le père Joseph. Il faut au moins un an pour commencer à comprendre comment les choses marchent dans le pays ».
Cette activité de gestion des volontaires est devenue une activité importante pour les MEP de Bangkok.
« En quinze ans, les Missions Étrangères de Paris en ont envoyé environ 1500 dans toutes les régions d’Asie », souligne-t-il, non sans fierté.
Depuis son départ, le père Joseph est parti se réinstaller à la maison d’accueil des MEP du diocèse d’Ubon Ratchathani, où il a entamé une retraite qui, on peut lui faire confiance, sera active.
Arnaud Dubus