L’expression innovation érigée en mantra macronien forme le cœur, l’alpha et l’oméga du cours communiqué que nous pouvons lire. Le terme est employé à 11 reprises comme substantif ou adjectif, innovant(e). On parle même de déjeuner innovant, mais on ne s’est pas risqué d’appliquer le vocable à “Mademoiselle” (on ne manquera pas de remarquer que cette expression est bannie du langage innovant “féministe” perçu comme stigmatisant un statut marital et par conséquent intrusif et peu respectueux de la vie privée). La simple lecture du communiqué laisse les traces d’une imprégnation tenace au risque du rejet comme un mauvais parfum. L’expression s’inscrit dans une longue suite de mantras à commencer par celui, inaugural, de “start up nation”. L’expression culmine au point de la caractériser comme l’emblème d’une année s’inscrivant dans toute une constellation d’images, de tweets associés à des imaginaires sémiodiscurssifs, à des représentation d’un soi “innovant” et des gestuelles associées, d’un engagement émotionnel que diffuse les réseaux, leurs images et leurs slogans. L’innovation fonctionne à partir d’un imaginaire social défini comme un ensemble des représentations, affects et projets propres à un groupe social ; celui-ci cherche à l’aide d’une sémantique de communication à le diffuser et l’inculquer à l’ensemble de la société en lui proposant, inculquant, un horizon de sens devant conduire à envisager de nouvelles manières de concevoir le passé et l’avenir.
La notion d’innovation est intimement liée à la technologie et à la production d’imaginaires technologiques et sociotechniques à destination de l’ensemble de la société et visant à créer et consolider un écosystème entrepreneurial (ex. la “French Tech”, “Viva Tech”, Tech for Good”, etc.). La consultation de la plateforme en ligne “viepublique .fr” à partir du lemme “Macron” donne accès aux discours prononcés par Macron. Dans le corpus recensé, les références à l'”innovation” et à la “technologie” sont constantes. Les domaines concernés sont nombreux avec en tête le numérique, puis l’IA, les énergies renouvelables, le nucléaire, les transports. D’autres technologies sont apparues au fil des discours et des opportunités politiques ou économiques du moment : technologies des vaccins, cybersécurité, technologie de l’hydrogène et du quantique, etc. La 5G, importante il y a quelques années est passée au second rang.
Une constellation sémantique irradiant autour du pivot lexical “innovation” déploie le champs lexical suivant avec parmi d’autres les mots associés suivants : recherche, artificiel, écosystème, investissement, développer, accélérer, technologie, entreprise, privé, marché, numérique, acteur, industriel, entrepreneur, rupture, accélération, talent, vert, quantique, transition, révolution… technologique… Les termes sont utilisés dans des occurrences variées et associées dans un but de communication destiné à stimuler des images, des émotions, des actions et des politiques surtout d’accompagnement du secteur privé auxquels les “citoyens” “raisonnables” et “modernes”, voire, soyons disruptifs, “révolutionnaires” ( es récalcitrants sont d’emblée désignés (désignation lexicale exprimée ou non par opposition) comme “has been” et “citoyens de seconde zone”) ne peuvent échapper et doivent se soumettre sous peine de s’exclure de la société et la “citoyenneté numérique”. Le discours se présente comme devant répondre à une nécessité, un impératif, souvent présentés comme urgents, inéluctables et immédiats (en raison des contraintes environnementales et climatiques, de concurrence extérieure, etc.) et sans alternative possible : “There is no alternative” selon le slogan thatchérien ou la rhétorique TINA. Dans ce cadre l’élaboration de plans et d’approches alternatifs et les discussions démocratiques qu’ils impliquent risque d’être dévalorisées et entravées. La tentation autoritaire peut relayer la volonté d’imposer des projets présentés comme dictés par des impératifs que viendrait appuyer des considérations notamment scientifiques plus ou moins vérifiées. Dans le discours macronien, la direction qui s’impose pour le seul avenir possible s’articule par ailleurs à un discours pro-européen englobant la défense de ses valeurs contre le risque de leur disparition et pour la construction d’un “nouvel humanisme”. L’expression “innovation” apparait donc comme un “mantra communicationnel total” destiné à formater des esprits et des actes sans qu’il soit possible de lui opposer d’autre formes d’avenirs possibles. TINA !