Notre ami romancier Patrice Montagu Williams est partenaire de la manifestation «l’Art en chemin» qui se déroule chaque année dans l’Oise. Cette année, l’éléphant est un personnage central de cette manifestation. Cela lui a inspiré une nouvelle très …thaïlandaise…
Une nouvelle de Patrice Montagu-Williams
Ils disent qu’on y est pour rien, mais qu’on a une mémoire incroyable. Ce sont des jaloux, parce que, cette fameuse mémoire qu’ils nous envient, ça ne nous est pas tombé du ciel comme ça. La vérité, c’est que, nous, on s’épuise pas à passer nos souvenirs à la paille de fer, comme ils le font eux. Pour oublier. Oublier les guerres, les massacres et les épidémies. Oublier le pourquoi et le comment et se chercher des excuses, genre c’est la faute des autres. Ou des circonstances. Oublier le lendemain ce qu’on a dit la veille.
Mémoire étanche
Oublier les joies et les peines. Oublier ce qu’on écrit les morts. Oublier ce que disent les enfants. De leur mémoire étanche comme une passoire, ils ont même fait une chanson : « J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien… » (*). Alors, ils photographient, ils filment, ils enregistrent et, une fois chez eux, ils peuvent se repasser tout ça, autant de fois qu’ils le veulent.
Pas besoin de se souvenir. Nous, on se débrouille tous seuls : images, sons, tout est stocké automatiquement et sans limites, là où il faut. Sans compter qu’en plus, on enregistre les odeurs, et, ça, ils savent pas faire ! C’est vrai que, la mémoire, c’est insatiable. Ça demande toujours plus, de paroles, d’images et de sons. Pour aller chercher tout ça, nous, on a notre secret : on utilise des vibrations transmises par la terre qui portent jusqu’à cinq kilomètres, des signaux que personne ne peut capter. À propos : j’ai oublié de me présenter. C’est pas malin pour quelqu’un dont on dit qu’il a de la mémoire : mon nom, c’est Posit.
Grand et fort
Je suis plutôt grand et fort. Pour mon âge, bien sûr. J’ai une amie. C’est une ravissante blonde dont les yeux sont bleus comme les tatouages qu’elle porte sur les bras. Elle s’appelle Jam Jun. Son nom, il paraît que ça veut dire « Pleine Lune ». Elle est très douce avec moi. Elle a compris que j’étais amoureux de Kamoon et elle me laisse souvent aller la retrouver, le soir.
Ça fait maintenant un mois que je lui ai fait ma première déclaration d’amour, à Kamoon. Je me souviens de tout. Ce jour-là, on était allés se promener ensemble dans la forêt, avec Jam Jun et Onh, mon mahout. Kamoon, elle est très belle. Elle a de grands yeux noirs et de longs cils. J’ai commencé par la sentir, puis je l’ai touchée. J’ai compris que je lui plaisais. Alors, Jam Jun, elle a dit au mahout : — Allez, on s’en va, on va les laisser seuls. Et ils sont partis tous les deux. Vingt-huit mois plus tard naissait notre fils, Nong Oum. Il pesait cent-vingt kilos. C’était le plus bel éléphanteau qu’on ait jamais vu…
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