Le sénateur est arrivé dans son bel habit d’observateur et de décideur. Il a écouté, regardé, participé aux débats, posé et répondu aux questions. Pourtant, rapidement, un sentiment singulier a submergé ses premières impressions. Il s’est senti englué, empêché, ralenti par une inertie ambiante. Lui qui n’avait que trois mots à son vocabulaire – « vite, vite, vite… » – a voulu comprendre : comment de telles institutions comme la Chambre de Commerce Franco-Thaïe, l’ambassade de France, les consulats honoraires, les diverses associations pouvaient engendrer un tel engourdissement ? Il a visité presque le monde entier et jamais ailleurs il n’avait eu ce sentiment. Etait-ce la société thaïlandaise qui impactait autant nos dignes institutions françaises ?
Avant tout, n’oublions pas de rappeler que la plupart des expatriés de retour en France sont aussi touchés par cette lourdeur qu’ils attribuent au système français. Parce qu’en Thaïlande, on passe son permis de conduire en une journée, on obtient une carte de crédit en une heure, on boucle un dossier de permis de construire en une semaine, on divorce en une journée, on passe une IRM en deux heures, on voit un médecin spécialiste sans rendez-vous, on pousse la porte d’un coiffeur et on vous coiffe, on rentre dans un salon de massage et on vous masse, les Thaïlandais obtiennent leur carte d’identité en une heure, on vous fait un costume en une nuit et on le livre dans votre chambre… Les exemples « de vite fait, bien fait » ne manquent pas, en supprimant cette connotation de travail bâclé que l’expression pourrait suggérer.
Surtout, n’oublions pas la réactivité des grands systèmes du pays après de grandes catastrophes comme le tsunami de 2004, la grippe aviaire, les inondations de 2011. Tout le pays a travaillé d’arrache-pied pour reconstruire au plus vite, les systèmes de solidarité se sont mis en place instantanément, l’argent est venu de ceux qui en avaient, on a donné et fait dans l’urgence en s’appliquant à retrouver au plus vite la sérénité et une vie normale.
Six mois après la grande vague meurtrière, les trottoirs de Patong à Phuket étaient reconstruits et les petits estancos grouillaient aux abords des plages pour accueillir les touristes.
Une anecdote personnelle pourrait donner un éclairage particulier à nos différentes façons de réagir. Quand je suis arrivée à Paris dans l’un des premiers avions des rapatriés du tsunami, avec entre autres un groupe de touristes français traumatisés, blessés, perdus, dont la moitié manquait à l’appel, on nous a distribué un petit document sur comment se méfier et réagir a une éventuelle contamination à la grippe aviaire.
Les cellules de crise et d’accompagnement des victimes du tsunami n’ont été mises en place que plus tard, trop tard pour les premiers arrivants, plus de 24 heures après la catastrophe, alors que personne ne pouvait l’ignorer car sans cesse relayée par les médias du monde entier. Qu’est devenu le concept d’urgence ?
Concernant la grippe aviaire, rappelons qu’en janvier 2004, la Thaïlande a massivement abattu tous ses élevages et a réglé le problème d’une éventuelle épidémie. En France, depuis au moins quatre ans et encore cette année, on abat les élevages de canards du Sud-Ouest en ruinant les éleveurs.
Voltaire disait déjà : « Les Français parlent vite et agissent lentement »
La Thaïlande est un véritable pays-entrepreneur. Toutes les polémiques sur les principes de précaution n’ont pas presse ici. On a compris depuis longtemps que tous ces parapluies ouverts massivement ralentissaient le grand voilier du progrès. On ne s’encombre pas de manières, on ne va pas plus vite que la musique mais on y va souvent par le chemin le plus court, ce qui est la meilleure manière d’aller « vite, vite, vite ! » tout en ménageant sa monture. Et surtout on met sans cesse en exergue ce principe d’efficacité. On prend des risques, certes, mais on pense déjà aux solutions.
Ce grand observateur, cet entrepreneur au vocabulaire concis, ce sénateur français aux trois mots perçoit en même temps le « vite, vite, vite » d’ici en pensant au « vite, vite, vite » de là-bas.
Alors un doute pesant l’a envahi. Il a ressenti l’inertie, la lourdeur de notre propre système, trop vieux, trop raccommodé, trop aménagé, trop légiféré et pas assez léger. Il a ressenti une différence et en a blâmé la coopération des deux pays. Car ici on fait au plus vite tout ce qui l’exige, tout ce qui est utile à toutes sortes de progrès.
On planifie à court terme dans une instabilité dont on ne se soucie plus chez nous. Et pourtant, les leçons récentes devraient faire légion. D’autant qu’ici le temps est élastique. On vit à toute heure donc pas besoin de vivre à toute vitesse. Voltaire disait déjà : « Les Français parlent vite et agissent lentement ».
Chez nous, on court en regardant ce qui peut se passer dans notre dos. Ici, on court les yeux fixés sur l’horizon.
Orian Bosson (www.gavroche-thailande.com)
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