Si la cuisine thaïlandaise est réputée à travers le monde, ce n’est pas grâce à ses desserts qui attirent plutôt la méfiance des Occidentaux. Les khanom, dont on trouve des centaines de variétés, puisent pourtant leur origine en Europe.
Lorsque les thaïlandais font « tak bat », du nom des traditionnelles cérémonies religieuses d’offrandes, ils n’oublient jamais de mettre des khanom dans les bols à aumônes des moines, de peur de ne plus pouvoir en manger après leur mort.
Pour beaucoup de thaïlandais, le khanom, un mot venant de la contraction de khao (riz) et de nom (lait, douceur), est la petite douceur qui va rendre plus savoureuse sa journée.
La phrase « haï tang paï su khanom » (en français : « je te donne de l’argent pour acheter des gâteaux ») est d’ailleurs l’expression qui sort le plus fréquemment de la bouche des parents lorsqu’ils souhaitent récompenser leurs enfants.
Très fiers de leurs khanom, les thaïlandais sont en général surpris lorsqu’ils apprennent que ces desserts ont une origine européenne.
D’après les premiers livres culinaires publiés dans le royaume, si certains entremets sont arrivés en Thaïlande en provenance du Moyen-Orient via des navigateurs commerçants, la plupart des khanom sont nés des douceurs européennes de l’époque.
Les premiers occidentaux à s’être installés au royaume d’Ayutthaya au début du XVIe siècle sont les portugais, venus depuis l’État malais de Malacca qu’ils ont commencé à coloniser en 1511.
Alors que l’ambassade du Portugal en Thaïlande est créée la même année, ouvrant la porte à l’établissement de relations commerciales entre les deux pays, les portugais apportent leur savoir-faire en matière de desserts.
Un personnage à l’histoire fascinante va jouer, un siècle plus tard, un grand rôle dans la gastronomie thaïlandaise. Il s’agit de Maria Guyomar de Pinha, femme au sang portugais, japonais et bengali, mais née à Ayutthaya. Épouse de l’aventurier grec Constantine Phaulkon, l’un des plus proches conseillers de Narai (roi d’Ayutthaya de 1656 à 1688 et principal instigateur du rapprochement avec la France de Louis XIV au XVIIe siècle), elle perd ses privilèges lors de la révolution de 1688 qui voit un autre conseiller, Phetracha, mener un coup d’État et prendre la place du souverain.
Porteur d’une politique opposée aux occidentaux qui se sont installés en terre de Siam, Phra Phetracha fait assassiner Constantine Phaulkon et condamne sa femme, Maria Guyomar de Pinha, à servir d’esclave dans les cuisines de la Cour.
De par ses talents culinaires, Maria gagne, après la mort de Phra Phetracha, le titre de responsable de la cuisine du palais royal. Elle y sert des desserts portugais qu’elle adapte aux ingrédients locaux. Certains des khanom qu’elle préparait alors pour la Cour du roi se mangent toujours de nos jours. C’est le cas par exemple du foï thong, vermicelles dorés faits à partir de jaunes d’œufs plongés dans un sirop de sucre blanc, dessert connu sous le nom de fois de ovos au Portugal. Ou encore du sangkhaya fak thong, une crème de noix de coco glissée à l’intérieur d’un morceau de citrouille.
Pas au goût du palais européen
« Ces desserts plaisaient aux personnes de la Cour à cette époque, mais la plupart des thaïlandais ne les connaissaient pas encore.
Les khanom ont commencé à se démocratiser auprès des thaïlandais à partir de la fin du XIXe siècle », raconte Thaithow, de la boutique Autharos’s House située sur On Nut. Cette passionnée explique aussi qu’il est rare pour elle de voir des étrangers dans le magasin. « S’ils viennent, c’est pour accompagner leur petite amie, mais je n’ai encore jamais vu un farang choisir un khanom. » Il faut dire que la plupart des desserts thaïlandais n’ont pas un aspect très appétissant pour les occidentaux, exceptés les très colorés khanom luk chup, qui ressemblent à des cerises ou à des petits piments sucrés.
Et que leur goûts sont parfois salés ou carrément très amers, ce qui paraît inconcevable pour le palais des européens, qui plus est des français. « Comme beaucoup de français d’après moi, je ne suis pas un fan des desserts thaïlandais, explique Eric Hengy, expatrié à Bangkok. J’en apprécie tout de même certains, c’est le cas de la mangue servie avec du riz gluant et lait de coco (khao nio mamuang), ou encore des crêpes (roti, dessert originaire d’Inde, ndlr) que l’on peut trouver dans la rue. Mais les pâtisseries françaises ou même les desserts lactés comme les crèmes brûlées, le riz au lait, le fromage blanc n’ont pas leur pareil… Je pense que c’est d’ailleurs ce qui me manque le plus ici si on parle de nourriture française. »
Si les petits vendeurs de khanom qui font eux mêmes leurs préparations et les vendent sur les marchés ou dans la rue ne peuvent toucher la clientèle étrangère, ils disent ressentir une baisse de l’intérêt pour ces mets traditionnels même au niveau local. « Enfant, ma mère me donnait de l’argent tous les jours pour acheter des khanom chez le marchand de ma rue au retour de l’école, explique Pi-On qui a son propre étal dans le quartier de Prawet. Aujourd’hui, je ne vois presque plus d’enfants venir acheter mes produits. Même mon fils préfère aller au 7/11 ou dans les grands centres commerciaux pour manger des khanom. »
Certains « shopping mall » réservent désormais un couloir entier à des enseignes de khanom, des revendeurs qui ne sont pas eux-mêmes producteurs. Et une franchise comme S&P propose ses propres variétés de desserts locaux. « Le goût des Thaïlandais est en train de changer. Les jeunes mangent d’avantage de nourriture occidentale, japonaise ou coréenne que leurs parents, explique dépitée Thaithow, qui est obligée de délocaliser sa boutique dans de grands centres commerciaux certaines semaines de l’année pour rentabiliser son activité. Si les gens n’en mangent plus, certains khanom traditionnels pourraient disparaître dans le futur. Le pla gim kai tao (un mélange sucré-salé fait de pâte de farine de riz, de lait de coco, de sel et de sucre) et le khranom krok (sorte de petites crêpes au coco) sont déjà très difficiles à trouver. »
Notre sélection de khanom à tester
Il existe plus d’une centaine de variétés de khanom, mot aujourd’hui également employé pour désigner toutes sortes de snacks tels que les chips. Si les résidents en Thaïlande ont sans doute dû déjà goûter aux bananes séchées (kluay ping), à la mangue servie avec riz gluant et lait de coco (khao nio mamuang), ou encore aux crêpes (roti) vendues dans la rue agrémentées d’œuf ou de banane, voici une sélection de khanom traditionnels moins connus des étrangers mais qui valent d’être goûtés.
Khanom krok
Cette toute petit crêpe, dont la pâte a pour base la farine de riz, est garnie d’une crème de coco mais aussi, plus étrangement, d’oignon vert (thon hom) qui donne un petit goût salé. On trouve les khanom krok presqu’uniquement dans les talat (marchés) et ils se font de plus en plus rares.
Bua loy
Le bua loy est fait de petites boules en farine de riz parfumées le plus souvent aux feuilles de pandanus et servies dans du lait de coco tiède. Des fines tranches de coco sont parfois ajoutées à ce dessert qu’on apprend à apprécier avec le temps.
Khanom khaï
Comme son nom l’indique (khaï signifiant oeuf), ce gâteau est né d’une recette à base d’oeuf mélangé à du sucre, du lait, du beurre et de la farine pour en faire une pâte à cuire. Assimilable à la madeleine française, le khanom khaï est sans doute le dessert qui se rapproche le plus de nos habitudes culinaires en matière de douceur. Un peu sec, il se marie néanmoins idéalement avec un café.
Khanom buang
Cette crêpe dont la forme peut être plus ou moins longue et qui ressemble à un tacos est un dessert qui rassemble des ingrédients typiques des khanom : la farine de riz pour faire la pâte à crêpe, la crème de coco et le foï tong (vermicelles faits à partir de jaunes d’œufs) en garniture. Un véritable petit délice croustillant et sucré.
Lod chong singapore
Ce dessert se compose de nouilles faites à base de farine de riz et de feuilles de pandanus – plante assez proche du palmier – et d’une préparation liquide qui a pour base le lait de coco. En apparence visqueuses, ces nouilles vertes qui sont généralement servies avec des glaçons surprendront agréablement les amateurs de desserts frais très sucrés.
Yann Fernandez
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