Gavroche n’est pas que votre plate forme préférée pour suivre l’actualité de la Thaïlande et des pays de la région, Elle offre aussi un regard, une connaissance, une intimité avec l’ex royaume de Siam et ses voisins. La preuve avec cette chronique de Jean Baffie…
La maison-musée de Jim Thompson est un lieu très agréable à visiter au cœur de la capitale thaïlandaise. J’y allais moi-même fréquemment, quand j’étudiais le quartier voisin de Ban Khrua. Il donne une idée de ce qu’étaient les résidences princières des siècles passés, mais voici pourquoi il est difficile de la présenter comme un modèle d’architecture thaïe traditionnelle. Voici également pourquoi le musée contient si peu de pièces relevant directement de la culture thaïe.
Jim Thompson est à n’en pas douter l’un des Occidentaux (farang) les plus fameux de l’histoire de la Thaïlande. Né le 21 mars 1906 à Greenville dans le Delaware, James Harrison Wilson Thompson, dit Jim Thompson, fit des études d’architecture à l’université de Princeton de 1924 à 1928. De 1931 à 1940 il exerça comme architecte à la compagnie Holden, McLaughlin and Associates de Chicago. Engagé volontaire dans l’armée en 1941, il entra dans l’Office of Strategic Service (OSS), ancêtre de la CIA, en 1942. Francophone, il fut envoyé en Afrique du Nord, puis se retrouva en Italie et en France. C’est en août ou septembre 1945, qu’il arriva à Bangkok. Il dut rentrer brièvement aux Etats-Unis à la fin de 1946 pour y être démobilisé avec le grade de lieutenant-colonel. L’année suivante, il revient en Thaïlande où il participa – comme architecte ? – à la réorganisation de l’hôtel Oriental, qui avait été occupé par les Japonais pendant la guerre. Il fut en même temps un conseiller politique non officiel du très puissant ambassadeur américain, Edwin Stanton.
Fin 1947 il découvre la soie dans le quartier des Chams musulmans de Ban Khrua, à Bangkok. La Thai Si1k Company fut alors créée avec 500 actions à 50 $ (soit 25 000 $), 51% des actionnaires étaient thaïlandais, dont 5 familles de Ban Khrua ; J. Thompson n’avait que 50 actions (il en avait 87 en 1967 au moment de sa disparition).
Sa maison-musée est inaugurée en mars 1959. Il y reçoit de nombreuses personnalités du monde entier dont des Français, puisqu’il aimait parler le français. C’est par ses partenaires et amis de Ban Khrua que Jim Thompson trouva les six maisons qu’il acheta pour constituer sa résidence. La plus grande provient de Ban Khrua même, donc de l’autre côté du canal Mahanak (aujourd’hui souvent appelé par erreur Saen Saep). Une autre provient d’un ancien quartier malais près du khlong Rong Mai, à Banglamphu, au nord de l’îlot Rattanakosin. Les quatre autres ont été achetées à Ayutthaya, sans doute dans un quartier de musulmans (qui ne se souviennent plus de leurs origines, mais qui pourraient être de lointaine origine chame), situé sur le fleuve, au sud-ouest, à l’extérieur de l’île, où l’on peut encore admirer aujourd’hui de belles maisons traditionnelles.
Officiellement, c’est Boonrong Nikhrodhananda (1917-1985), professeur à la faculté d’architecture de l’université Chulalongkorn, qui fut l’architecte de la maison de Jim Thompson. En fait, comme aujourd’hui, les architectes étrangers n’avaient vraisemblablement pas le droit d’exercer en Thaïlande, d’autant qu’officiellement Jim Thompson était un industriel, pas un architecte. Car, on sait que c’est Jim Thompson qui eut l’idée de retourner les cloisons, jugeant que l’intérieur des panneaux de bois était plus beau. Cette « maison », qui fait donc plutôt penser aux palais d’autrefois, est donc bien peu représentative de l’architecture thaïe traditionnelle. En tout cas bien moins que la maison de M. R. Kukrit Pramoj ou de la Kamthieng House de la Siam Society, que l’on peut également visiter à Bangkok.
Il convient en outre de préciser que les pièces exposées dans la maison sont représentatives des arts khmer et chinois plus que de l’art thaï. Bien entendu, il ne peut être ignoré que de nombreuses pièces d’art khmer ont été retrouvées en Thaïlande, particulièrement dans le Nord-Est et la plaine centrale et peuvent être considérées comme relevant de l’art de la Thaïlande du VIIIe au XIIIe siècles. Parmi les 69 œuvres exposées au musée du Petit Palais, à Paris, lors de l’exposition « L’Image sacrée en Thaïlande », tenue d’octobre 1980 à février 1981, une seule pièce provenait de la collection de Jim Thompson, un « Bouddha couronné prenant la terre à témoin », du style de Lopburi, style faisant la liaison entre l’art khmer et un art plus proprement thaï (styles Suphanburi, Ayutthaya).
La raison de la quasi-absence de pièces d’art thaïlandais dans la maison-musée de Jim Thompson est bien connue. Les images de bouddha représentatives des diverses périodes de l’art local étaient sans doute assez nombreuses chez Jim Thompson avant 1962. Mais cette année-là, il eut un grave différent avec le département des Beaux-Arts qui l’accusa de « piller le patrimoine thaï », notamment à propos d’une image de Buddha du style de Si Thep arraché d’une paroi de la grotte de Tha Morat dans la province de Phetchabun. Un jour la police débarqua en force chez Jim Thompson pour confisquer des pièces, pourtant légalement acquises et qu’il n’avait bien évidemment pas l’intention d’envoyer hors de la Thaïlande. Il en fut tellement dégoûté qu’il décida de vendre la plupart de ses images de Bouddha et des pièces d’art thaï en général. Certaines ont été rachetées par des diplomates qui ont pu les exporter à l’étranger grâce à leur statut privilégié.
La Maison de Jim Thompson reste pourtant un lieu à visiter à Bangkok. Et l’un des avantages pour les touristes français est la présence de guides francophones ravis de pratiquer notre langue. Cependant, il est préférable d’aller au-delà des trop nombreuses idées reçues véhiculées par les guides de voyage.
Jean Baffie
Chercheur associé à l’Institut de Recherches Asiatiques (IrAsia)
Aix-Marseille Université.
Merci beaucoup pour cette très juste présentation du musée et de rappeler l’importance de la communauté de Ban Khrua, le Klong Mahanag, la maison de Banglamphu (qui vient d’être restaurée) ainsi que l’exposition du Petit Palais en 1980 avec le Buddha paré. Concernant la présence d’art Thai dans la collection, il y a trois pièces majeures, à l’époque remarquées par Jean Boisselier: le buste de Buddha Dvaravadi au rez de chaussée face à l’entrée, l’image en bois de Buddha époque Ayutthaya dans l’entrée (qui fut prêtée pour l’exposition itinérante “The Arts of Thailand” en 1960), et l’imposante tête de Buddha dite U-Thong dans le salon, acquise peu avant sa disparition. Egalement remarquable, le buste Dvaravadi dans le bureau qui fut exposé à New York (Asian Society, je crois).
Très intéressant que vous signaliez la possibilité d’un ancien quartier Cham pour la provenance des 4 maisons dans la région de Pak Hai près d’Ayutthaya. Je l’ignorais. Malheureusement rien dans nos archives à ce sujet. Tant de choses restent à faire au sujet de la maison de J.Thompson.
Avec mes sincères remerciements,
Bruno Lemercier
James H.W. Thompson Foundation
…/…
la collection de peintures thaïes anciennes (18ème -19ème), est aussi remarquable par sa taille, plus d’une centaine, et sa qualité, objet de soins constants.
B. Lemercier
Merci monsieur Baffie pour ce rappel. Pour info, la maison de M. R. Kukrit Pramoj n’a toujours pas rouvert ses portes depuis la fermeture au début du COVID. J’avais fait une intervention un peu moyenne sur la chaîne de Sabri Thai
https://youtu.be/IXoxhjVVHGQ
sur l’histoire de Jim Thompson mais j’aimerais bien creuser le sujet des Chams sur ma chaine youtube où je parle d’histoire et de culture thaïe
https://youtube.com/@Frederic_Renn
Si quelqu’un (dont Jean Baffie) veut venir en parler, j’en serais ravi
merci pour cet article au sujet de cette célèbre maison !