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THAÏLANDE – HISTOIRE: La porcelaine, cet art délicat prisé du roi de Siam

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 08/11/2020
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Gavroche remercie le ministère de la culture thaïlandais pour l’avoir autorisé à reproduire des extraits des lettres adressés par le roi Chulalongkorn (Rama V) à sa fille lors de son séjour en Europe en 1907. Chaque épisode est un plaisir. Ici, le souverain découvre en France la porcelaine de Sèvres…

 

Nous publions ici des extraits de l’ouvrage «Loin des siens» avec l’aimable autorisation du ministère thaïlandais de la culture. Épisode 6. Extraits des lettres sur la France du Roi Chulalongkorn (Rama V) envoyées à sa fille, la princesse Nibha Nobhadol, lors de son voyage en Europe en 1907.

 

Ma chère fille,

 

(…) À notre arrivée (ndlr. à Sèvres), nous avons été accueillis puis on nous a emmenés à la salle d’exposition et de vente, où seules les petites pièces sont à vendre, pas les grandes. Ensuite, nous sommes allés visiter les lieux de fabrication. En fait, j’ai déjà vu la fabrication de la porcelaine, ici même lors de mon précédent voyage, mais aussi à Meissen dans le district de Dresde, et cette fois-ci en visitant l’Italie, la Russie et le Danemark, néanmoins il ne me paraît pas hors de propos de la décrire encore une fois.

 

Une forme arrondie

 

Pour les objets qui ont vocation à une forme arrondie, on les passe au tour de potier à pédale, comme on fait pour tous les pots, tandis que pour les petites statuettes, on utilise un moule. S’il s’agit de poteries blanches sans émail, on les met directement au four ; si l’on veut émailler, quand il s’agit de petites pièces, manipulables à la main, on les trempe dans le liquide d’émaillage qui va sécher toute de suite, parce qu’il est absorbé par la pâte de la tasse pas encore cuite. Dans le cas où l’on veut réaliser une composition avec des couleurs, on peut soit colorer le motif avant de l’émailler, soit faire un premier émaillage puis appliquer en superposition un deuxième émail coloré. En ce qui concerne les dorures, il faut d’abord graver le dessin sur une plaque de métal qu’on enduit d’une pâte noire, celle-ci pénètre dans les espaces creusés par la gravure. On essuie soigneusement les endroits non gravés, on recouvre avec une très fine feuille de papier, on met sous presse et la pâte noire se colle sur le papier.

 

Une fois sorti du four…

 

Ensuite on dispose la feuille de papier sur l’assiette déjà émaillée et l’on estampe avec de la gomme indienne, la pâte noire se dépose sur l’assiette et on la saupoudre de poussière d’or. Celle-ci ne se fixe que sur le tracé noir parce que le reste est lisse et sans rien qui accroche, et pour finir on met au feu. Si l’on désire une couche d’or plus épaisse à certains emplacements, on rajoute de la poudre d’or. Une fois sorti du four, il faut encore polir la dorure à l’agate pour la faire briller. Tout ce travail est fort délicat, et ne peut véritablement être réalisé qu’à la main, le pied ne pourrait plus du tout être utilisé. S’agissant des grandes pièces, comme on ne peut pas les tremper dans l’émail, on utilise un tube de verre pour les vaporiser avec le liquide, à la manière d’un flacon de parfum. Si c’est un objet mince que l’on veut produire, comme une tasse très fine par exemple, on emploie un moule en creux de la forme choisie et on y coule le mélange d’argile dilué dans l’eau, plus ou moins rapidement selon l’épaisseur désirée. Une fois sèche, on dégage la tasse du moule, mais elle est d’une fragilité extrême et peut se briser pour un rien. La mise au four se fait à l’aide d’une sorte de grande palette à rebord, qui ressemble à un brancard, où l’on dispose les objets avant de les insérer dans la chambre de cuisson ; celle-ci dure toute une nuit, à une température très élevée.

 

Un service à thé

 

Aujourd’hui, j’ai assisté à l’ouverture du four d’où sont sortis les assiettes et le service à thé que j’avais commandés, sans que l’ensemble soit tout à fait complet cependant. J’ai vu sortir aussi un modèle figurant une paire de coqs qui m’a beaucoup plu, mais on m’a indiqué que c’était une commande de la femme du Ministre des Affaires étrangères et j’ai dit que, dans ce cas, il valait mieux que j’en parle au Ministre. J’ai par ailleurs acheté une série de petits personnages pour mettre sur la table d’une salle à manger. Ce travail est extrêmement réussi. A Meissen, la qualité du matériau et de l’émaillage est très bonne aussi, mais le dessin et les poses des figurines ne sont pas aussi raffinés que chez les Français. Il semble que Sèvres soit insurpassable. Je suis rentré par le même chemin, en m’arrêtant au Bois pour prendre le thé au Pré Catelan.

 

Un thé trop concentré

 

Quand je dis « prendre le thé », c’est une façon de parler, parce qu’en réalité je n’ai interdit le thé et de toute façon ce thé trop concentré ne me tente pas du tout. Je le remplace donc par des fruits. À ce moment, il y avait plusieurs nouveautés qui venaient d’arriver, du raisin noir avec de gros grains ovales, du raisin blanc à gros grains également, très parfumé, tous deux délicieux, des fraises de forme oblongue, des prunes, des reines-claudes bien mûres et bien sucrées, des pêches dont l’excellence ne se dément jamais, et des poires, qui étaient bonnes aussi mais plus petites qu’avant. Il y avait aussi une sorte de fruit qui ressemble à une pastèque ou à une courge et qu’on appelle « melon » en France, avec une chair épaisse, très juteuse et sucrée à la perfection, ainsi que des figues bien à point à ce moment et pleines de sucre. Ici les fruits sont plus abondants qu’ailleurs.

 

La France et ses fruits

 

Du reste, dans les menus en Allemagne, on va jusqu’à préciser que les fruits viennent de France, à cause de leur réputation. L’endroit où j’ai pris le thé aujourd’hui est situé au milieu du Bois. Le bâtiment a été construit avec un mur du fond tapissé de miroirs et, en vis-à-vis, des baies vitrées sur toute la façade. Des petites tables y sont disposées, avec toutes sortes de pâtisseries, fruits et boissons. Deux ensembles de musiciens jouent en alternance. À l’extérieur, c’est un décor d’arbres et de fleurs de toutes couleurs, avec des chemins ombragés, un cadre vraiment ravissant et distrayant. Les Français sont certainement les meilleurs pour ce genre de choses. Après le thé, je suis rentré à la Légation pour différents travaux. Le soir, je suis allé voir le spectacle au Grand Opéra. Le trajet était illuminé, comme s’il y avait partout des festivités. Les rues de Paris sont éclairées de différentes façons, lampes ordinaires, becs de gaz, lanternes électriques, lampes à arc ; on ne voit pas de lampes à bobinage ni de lampes à pétrole en forme de limule. Dans le domaine électrique, il y avait une nouveauté : un tube allongé qui donne une lumière bleue. Sur les magasins, des enseignes signalent en lettres lumineuses le nom du magasin ou les produits vendus. Certaines sont intermittentes, ou font tourner l’éclairage d’une partie à l’autre, ou encore changent de couleur.

 

Une fête permanente de lumières

 

Cela dépasse la description, c’est comme une fête permanente de lumières. En bordure de la rue, restaurants et cafés disposent en terrasse des petites tables serrées les unes contre les autres, qui sont très fréquentées. On peut trouver quelque chose du même genre dans d’autres pays, mais ce n’est jamais comme à Paris. À Londres cela n’existe pas, on voit des tables à Hyde Park mais elles sont désertes. Ce n’est pas dans les habitudes des Anglais d’aller manger ainsi, ou bien c’est le climat qui ne s’y prête pas, avec la pluie, le brouillard ou le smog qui assombrissent le ciel en permanence. À Paris, le temps était beau, il faisait clair, il faisait doux, et cela donnait envie de sortir et de s’amuser en plein air.

 

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