En août 1997, l’historien Michael Wright (décédé en 2009) écrivait dans The Nation : « En ce qui concerne l’histoire et la culture, la Thaïlande ressemble fort aux pays communistes en ce sens que ces deux matières y sont propriétés de l’État. On ne peut que déplorer une telle situation qui voit toute recherche originale ignorée ou rejetée si elle n’avalise pas la version officielle.
[…] Le problème est qu’ici l’histoire et la culture « noble » ont toujours été la chasse gardée de l’élite. Sous la monarchie absolue, les princes écrivaient l’histoire du Siam de façon linéaire (Sukhothai – Ayutthaya – Thonburi) pour montrer à l’Europe que leur pays était depuis longtemps une nation et que ses fondements étaient stables. La plupart des thaïs (et beaucoup de non-thaïs) ont encore de nos jours cette vision linéaire de leur histoire. Vinrent ensuite les fascistes et leur nouvelle théorie officielle concernant l’origine noble et séculaire des thaïs. Et, de fait, les thaïs sont nobles et de vieille souche… comme tout le monde. Il n’était pas nécessaire de falsifier l’histoire pour le prouver. Néanmoins, malgré les importants changements politiques survenus depuis 1973, toutes ces fariboles racistes et fascistes restent bien ancrées dans les programmes scolaires officiels. »
Conception linéaire d’un passage de relais direct entre Sukhothai et Ayutthaya
Si la conception linéaire d’un passage de relais direct entre Sukhothai et Ayutthaya a effectivement fait son temps(*), plusieurs hypothèses cohabitent encore quant à l’origine de cette seconde capitale. L’une d’entre elle suppose qu’il y avait déjà une (sorte d’Ayutthaya avant Ayutthaya. Exposée dans un article du même Michael Wright (1992), elle s’énonce ainsi : Attirées par les ressources naturelles de l’Asie du Sud-Est, l’Inde et la Chine ont fréquenté ses côtes depuis les temps protohistoriques et leur rencontre a donné naissance à un commerce Est-Ouest. L’Asie du Sud-Est continentale étant une longue péninsule soumise aux vents de moussons, il a été plus facile de créer des comptoirs sur ses côtes est et ouest et de les relier par des routes de portage plutôt que de la contourner.
Ce système ne peut fonctionner que s’il existe localement des pouvoirs politiques suffisamment puissants pour maintenir ouvertes ces routes de transport et assurer l’exploitation des ressources naturelles de l’intérieur, or la stabilité politique dans la région émane presque toujours d’un pouvoir militaire basé dans la plaine centrale et capable d’imposer son autorité au Nord, au Nord-Est et au Sud. Au cours du 1er millénaire ap. J.- C., ce pouvoir s’appelait Dvaravati-Sri Vijaya et il est fort probable qu’il existait alors une « proto-Ayutthaya », peut-être même sur le même site ou dans la même région.
La chute de l’empire chola
Vers 1075, l’empire indien chola s’effondre et les Cholas d’Asie du Sud-Est – qui contrôlent sa côte ouest et sont présents à l’est – rentrent chez eux. Leur départ marque pour la région le début d’une période noire durant laquelle le commerce décline et de nombreuses villes commerçantes retournent à la jungle (seules deux semblent avoir survécu). Les noms Dvaravati et Sri Vijaya disparaissent des annales. Quelques tentatives sont faites pour créer de nouvelles routes est-ouest un peu plus au nord que les anciennes, probablement infestées de bandits, et si la première (Prasat Muang Sing) est un échec la seconde (Sukhothai) connaît un grand succès… tant que les routes plus au sud sont inutilisables.
La fondation d’Ayutthaya en 1351, pourrait n’être que la refondation symbolique d’un site antérieur en déclin. Ayutthaya étant mieux située pour le commerce, son essor inaugure le déclin de Sukhothai qui ne doit sa survie d’encore deux siècles qu’à son rôle de centre religieux (« une Athènes bouddhique dans l’ombre de la Rome d’Ayutthaya »). Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le roi Naresuan, pourtant fils du roi de Sukhothai, s’installera à Ayutthaya.
Ayutthaya, Thonburi, Bangkok… le schéma d’une ville centrale contrôlant les côtes et l’intérieur perdure jusqu’au début du XIXe siècle. C’est l’avènement du bateau à vapeur – qui ignore les vents saisonniers et n’a donc pas besoin de routes terrestres – qui marquera le début de la fin. Le commerce se fera désormais par le détroit de Malacca (Singapour).
XAVIER GALLAND
(*) Les premiers Ayutthayiens « ne considéraient probablement pas Sukhothai différemment d’autres muang tels Chiang Mai, Lop Buri ou Nakhon Sri Thammarat. » (Charnvit Kasetsiri, 1976)
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