Plusieurs médias thaïlandais ont signalé ces derniers jours une statistique affolante : dans le Royaume, le nombre d’adolescent intoxiqués par les jeux-vidéos aurait augmenté de 400% en un an. D’où provient ce chiffre ? Pourquoi est-il inquiétant ? Les explications de Gavroche à l’heure où la bataille fait rage entre professionnels de la santé et lobbies de l’industrie du «gaming», florissante en Thaïlande.
Selon un conseiller du ministère de la santé, cité par le Bangkok Post, le nombre d’adolescent dépendants aux jeux-vidéos aurait augmenté de 400% en à peine plus d’un an.
Yongyud Wongpiromsarn, conseiller au Département pour la santé mentale, cite à l’appui des chiffres rendus publics par l’Institut Rajanagarindra, spécialisé dans les thérapies de sevrage auprès de patients souffrants d’addiction.
En 2016, le centre a accueilli 26 patients, 129 en 2017, et 146 en 2018.
Attention donc : ces chiffres sont tirés de la fréquentation d’une seule institution.
Ils n’ont pas nécessairement la portée nationale que lui ont aussitôt donnée les médias.
Bien plus intéressant toutefois que la polémique sur les chiffres : selon le ministère de la santé, cette brusque augmentation du nombre de patients est à mettre en corrélation avec la décision prise par la Sport Authority of Thailand (SAT), en juillet 2017, de reconnaître les compétitions de jeux-vidéos comme e-sports.
Yongyud Wongpiromsarn rappelle qu’il existe un million d’e-sportifs en Thaïlande.
Et là, le tableau n’est pas réjouissant coté comportemental : ce spécialiste estime que parmi ces jeunes passionnés de jeux vidéos, 200 000 présentent des conduites à risques.
Pire : 20 000 manifestent les symptômes d’une addiction majeure.
Il faut donc bien avoir en tête que la Thaïlande est aujourd’hui sur la ligne de front d’une bataille mondiale : celle que se livrent les fabricants de jeux vidéos pour acquérir les plus grandes parts de marché, en utilisant les compétitions comme l’appât principal.
Depuis 18 mois, une polémique oppose ainsi dans le Royaume les professionnels de la santé à la Sports Authority of Thailand, la Fédération Nationale d’e-sports et les groupes de télécommunications qui organisent des compétitions d’e-sports particulièrement appréciées du jeune public.
Le mois dernier, pas moins de soixante compétitions, toutes évidemment sponsorisées par des partenaires privés, ont été organisées dans le pays.
Preuve que la place des jeux vidéo devient déterminante pour la jeunesse : la moitié de ces compétitions se sont déroulées sur des campus, rapporte le Bangkok Post.
Au cours d’un séminaire organisé en juin dernier par la Thai Health Promotion Foundation, le ministère de la santé a estimé que l’e-sport devrait être légalement considéré comme une compétition mais non comme un sport.
Il a également cité les résultats d’une étude menée en 2018 par le think-tank DQ Institute, qui promeut le concept « d’intelligence digitale » pour former les jeunes générations aux bonnes pratiques du monde virtuel.
Selon cette étude, un adolescent thaïlandais reste connecté en moyenne 35 heures par semaine.
Sans surprise, les professionnels des jeux vidéo minimisent ces conclusions, en soulignant qu’un « bon athlète » ne doit pas passer autant de temps à jouer, mais plutôt à s’entraîner avec son équipe.
Les cas d’addiction résulteraient d’un manque de discipline et d’une mauvaise hygiène de vie, selon la Fédération thaïlandaise d’e-sport contactée par le Bangkok Post.
Le chiffre d’affaires de l’industrie des jeux vidéos est estimée aujourd’hui à 10 milliards de bahts.
Son taux de croissance annuel est d’environ 12%.
Le «gaming» représente 20% du marché total des télécommunications, les grandes marques n’hésitant pas à mettre en place des facilités de paiement pour conquérir leurs (jeunes) acheteurs.
Ces derniers jours, un bon baromètre était disponible à Bangkok : la convention Commart Work 2018, qui regroupait les grands noms de l’industrie vidéoludique (Dell, HP, Lenovo, Sennheiser….) au Queen Sirikit Convention Center.
En quatre jours, cet évènement a attiré un million de visiteurs (contre 800 000 en 2017), pour un chiffre d’affaires de trois milliards de bahts, contre 2,8 milliards en 2017.
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Thibaud Mougin
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