Quand il s’agit de faire appliquer la loi, la police thaïlandaise n’est pas toujours d’une grande exemplarité. Quelques billets glissés dans une main suffisent parfois à échapper aux infractions et autres délits plus sérieux, notamment sur les routes où l’indiscipline règne en maître. Le pays est pourtant doté d’une batterie de mesures répressives qui peuvent en dissuader plus d’un, notamment lorsqu’il s’agit de conduite sous l’emprise de l’alcool. Expérience vécue par notre reporter issue de nos archives avant la pandémie de Covid-19…
Il n’est pas encore passé minuit ce mercredi soir à la sortie d’un grand pub du centre de Bangkok connu pour ses spectacles un peu décalés et sa bière blanche à la pression brassée sur place. Pas une table sans sa girafe de 5 ou 10 litres. Un escadron de serveurs s’assure que les verres soient toujours bien remplis alors que l’ambiance monte crescendo dans la salle chauffée par les chanteurs stars du lieu. Je monte sur ma Fino sans vraiment me soucier de savoir si je suis en état d’ébriété. J’habite dans le quartier.
Le piège se referme quelques mètres plus loin, sur l’avenue Rama III. Le barrage est là, sans échappatoires possibles. Réalisant la situation, j’espère encore me faufiler ni vu ni connu entre deux files de voitures. Trop tard, un agent se plante devant moi. Je me range sur le bas-côté où d’autres véhicules sont déjà immobilisés. Une bonne dizaine de policiers sont présents, dont deux portant des casquettes de gradés. Je comprends tout de suite pourquoi ils sont là.
Sans attendre que je descende de moto, il me tend sous le nez l’éthylotest (une sorte de sarbacane noire). Une fois, deux fois, trois fois… Je tente d’expirer le moins d’air possible. Patient, il me fait recommencer sans un signe d’énervement. Le test est positif. Il me demande de le suivre. On me fait assoir à une table tandis que le policier à la sarbacane reprend sa place au milieu de la circulation. Ceux qui n’ont rien bu repartent sans contrôle d’identité ou de permis de conduire. Dans la police thaïlandaise, une mission est une mission. Ce soir, les consignes sont claires : on recherche les alcooliques au volant. A chaque jour suffit sa peine…
Au poste !
Le policier assis derrière la table pliante posée sur la chaussée à la vue de tous me demande de souffler de nouveau. C’est le redoutable éthylomètre électronique, celui qui ne vous laisse aucune chance. Inutile de négocier, le gradé est souriant mais déterminé. Je souffle. Il tourne ensuite vers moi le voyant aux chiffres rouges qui monte lentement : 0.15 / 0.35 / 0.40… Je croise les doigts en espérant ne pas remporter la cagnotte, moi qui n’ai jamais gagné au loto… 0.61 ! Le compte est bon, j’ai dépassé la limite autorisée de 0.50 mg par litre d’air expiré (ou 0,75 g par litre de sang), plus élevée qu’en France (0,25 mg). « What’ you drink ? », me demande le monsieur en broken english. « Beeeer », lui réponds-je avec l’accent thaï. « Ki khaew ? » (combien de verres) , enchaîne-t-il dans sa langue. « Only three », dis-je après un rapide calcul. Sans attendre, un autre policier récupère le constat d’infraction et me demande de l’accompagner au poste de police. Je monte derrière lui, sur ma moto.
Le commissariat du quartier est désert. A l’accueil, une jeune recrue en tricot blanc m’invite à m’asseoir. Après les questions d’usage, il dresse le procès verbal puis me le lit en thaï avant de me le faire signer. La suite, je la connais déjà. Comparution immédiate au tribunal le lendemain matin. Un juge décidera de mon sort. En attendant, après la prise d’empreintes de mes dix doigts (on m’épargne la photo d’identité judiciaire et les pieds…), je dois passer la nuit en cellule ou payer la caution de 20 000 bahts (500 €) pour pouvoir rentrer chez moi. Je tente de négocier, je n’ai pas une telle somme sur moi et j’ai laissé un enfant seul à la maison. Peine perdue. Je jette un rapide un coup d’œil aux barreaux de la prison derrière la pièce. Ca n’a pas l’air très accueillant… Finalement, un flic de garde m’accompagne à la machine à sous juste en face du commissariat. Rendez-vous le lendemain matin à 9h.
Accusé levez-vous !
C’est un bâtiment blanc longiligne sans distinction au fond d’un soï (ruelle) de Charoengkrung près de la rivière. La salle d’audience est au deuxième étage. On me fait attendre quelques minutes avant de me faire entrer et de m’asseoir sur un banc avec d’autres présumés coupables. Par chance, nous ne sommes qu’une poignée, ça ne devrait pas être long. A ma gauche, une jeune femme les menottes aux poignets me lance des sourires insistants, toute surprise sûrement de voir un « farang » (un blanc) partager le sort du petit peuple thaï…
Boire de l’alcool au volant vous envoie sur le même banc que les autres délinquants (camés, dealers, braqueurs…), quelle que soit votre nationalité ou couleur de peau… Et même les gosses de riches y ont le droit, comme l’atteste la présence d’un jeune homme sapé Hi So assis à côté de son avocat. On ne plaisante pas avec la conduite en état d’ivresse au royaume du sourire. L’alcool, avec la vitesse, sont responsables d’une bonne partie des quelque 14 000 tués sur les routes chaque année. Sept sur dix sont des jeunes à moto. Les peines peuvent être sévères : de 3 à 10 ans de prison si vous tuez quelqu’un en conduisant sous l’emprise de l’alcool. Mais l’application de la loi reste problématique. La « peur du gendarme » n’est pas dans l’ADN de la plupart des Thaïlandais et la corruption peut résoudre pas mal de problèmes.
Les forces de police quant à elles n’ont pas suffisamment de moyens pour pouvoir mener des opérations de grande envergure. Les contrôles d’alcootest prennent souvent la forme de « coups de filet » sur des périodes plus ou moins longues. Quant à la prévention, elle ne peut pas lutter à armes égales avec la corruption, ni contre les puissants lobbies de l’alcool dans l’un des premiers pays consommateurs au monde, ni contre le manque de conscience individuelle et collective et, par delà, d‘éducation civique. Reste la dissuasion pour ceux qui se font prendre…
La greffière m’appelle pour prendre quelques renseignements. Quelques minutes plus tard, le juge, en chemise blanche aux manches relevées, fait son entrée. Je me lève machinalement. Un gardien me fait signe de rester debout à ma place. La lecture du jugement prend moins d’une minute. L’homme quitte la pièce et tout le monde se rassoit.
Je suis dirigé vers une femme à l’autre coin du tribunal. Cette dernière, toute souriante de pratiquer son anglais, me relit la condamnation : 6000 bahts d’amende / six mois de retrait de permis moto (je peux garder mon permis voiture…) / un an de probation contraignante (je devrai me rendre tous les trois mois dans un service judiciaire pour un interrogatoire). J’échappe aux heures de travaux d’intérêt général en raison de mon taux d’alcoolémie inférieur à un gramme, mais je reçois une peine de prison de trois mois avec sursis assortie d’une période de probation de deux ans. De quoi dissuader… Une fois l’amende réglée et les papiers signés, il ne me reste plus qu’à retourner au commissariat récupérer ma caution.
Malto C.
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Bonjour je voudrais savoir le prix d’une amende pour conduite en état d’ivresse en scooter avec un accident arrangement à l’amiable merci
Bonjour, voici un témoignage sur l’alcool au volant en Thaïlande. https://www.gavroche-thailande.com/thailande-justice-alcool-au-volant-ce-que-vous-risquez-vraiment/