A l’annonce de la mort du roi, de nombreux Thaïlandais ont choisi de porter le deuil en se faisant tatouer un symbole ou une image. Les studios, réactifs, ont déjà leurs croquis à disposition. D’autres se contentent de revêtir l’habit noir, complété avec toutes sortes d’objets à l’effigie de Bhumibol – casquettes, médaillons, parapluies ou encore portraits portés au-dessus de la tête ou fixés sur le guidon d’une moto…

Ce samedi 22 octobre, aux alentours de 13h20, des cris montent dans la foule massée devant le Grand Palais. « Par ici ! »… « Là ! », les secouristes sont débordés : sous un soleil de plomb, cent mille personnes attendent depuis des heures et les malaises se multiplient.
A l’exception des militaires, de la police et des secouristes, tous portent du noir, la couleur du deuil. La demande a explosé depuis le décès du roi et certaines boutiques se sont vite retrouvées en rupture de stock, créant un marché « noir » où les prix ont flambé, obligeant le gouvernement à intervenir en menaçant de lourdes amendes les commerçants trop opportunistes.

En quelques jours, comme on avait pu le constater lors des grandes manifestations politiques de ces dernières années, de nombreux t-shirts commémoratifs ont été cousus à la hâte dans les ateliers de Bobay, Pathumwan et Chinatown pour alimenter les boutiques de tout le pays. 
Des t-shirts « souvenirs » que l’on retrouve autour du Grand Palais, aux côtés de toutes sortes d’objets à l’effigie de Rama IX. Amulettes, éventails, colliers, portraits, photos sous cadres, casquettes, parapluies… se vendent à la sauvette sur les trottoirs de Ratchadamnoen, la grande avenue qui mène à l’esplanade de Sanam Luang. De faux billets dorés à l’or de 1000 bahts à l’effigie du roi ont même circulé, poussant le porte-parole du gouvernement à mettre en garde la population.

Dans les salons de tatouages de Khao San Road, la clientèle a subitement changé de visage. Les Thaïlandais ont remplacé les routards occidentaux et les dragons et autres figures mystiques ont laissé place à des tatouages à l’effigie du roi. Nontiwat, patron moustachu du salon Up2UTattoo à Khao San Road, dit recevoir en moyenne trois clients par jour depuis le 13 octobre, « autant d’hommes que de femmes et de tous les âges ».

L’un des tatouages les plus demandés est le chiffre 9 thaïlandais : ce caractère aux jolies courbes peut se styliser et se coloriser sur demande, ou rester noir et sobre, accompagné d’un court message comme « Je suis né sous le règne de Rama IX », le plus répandu. Nontiwat y voit une grande notion de fierté : « Ce sont majoritairement les plus jeunes qui demandent ce type de tatouage. Il se sentent fiers d’être nés et d’avoir grandi sous son règne ». Certains vont plus loin et demandent un portrait, une silhouette, ou même la reproduction d’une image célèbre du roi, un enfant à ses pieds, symbolisant le Père de la Nation, qu’ils se font tatouer sur le bras ou au-dessus du cœur.

Parmi cette nouvelle clientèle, nombreux sont ceux qui n’ont jamais été tatoués. « Nos clients veulent rendre hommage au roi en marquant leur peau à vie ; mais c’est aussi une façon de garder en mémoire ce souverain tellement adulé, estime Pang, gérant du Monster Ink Tattoo. Par respect, tous les clients souhaitent se faire tatouer la partie supérieure du corps, comme on le ferait pour un Bouddha. En majorité sur la nuque ou près du cœur. »

A Pattaya, des salons de tatouages offrent leurs services gratuitement, comme au studio Skin Art Tattoo où l’on propose trois jours de tatouages gratuits. Noporn Naplod, le patron du salon, y voit une manière personnelle de rendre hommage au roi. « Mes artistes et moi-même voulions faire quelque chose pour ces gens qui n’ont pas forcément les moyens de se payer un tatouage de qualité. Pour nombre de Thaïlandais, se faire tatouer ainsi symbolise une forme de loyauté ».

Gabriel Bertrand

Remerciements aux salons Up2Tattoo et Monster Ink Studio.