L’intervention du Roi Rama X dans l’arène politique après la candidature de sa soeur ainée la princesse Ubolratana – qui s’est depuis retirée – a entrainé un déluge d’éditoriaux et de commentaires dans la presse internationale. Nous avons choisi d’en publier plusieurs pour éclairer au mieux nos lecteurs. Nous reproduisons ici l’éditorial de Michel De Grandi, dans les Echos que vous pouvez retrouver ici en version originale.
Par Michel De Grandi, Les Echos ( France) – Publié le 10 février 2019
La candidature de la sœur du roi au poste de Premier ministre du royaume a été torpillée par le Palais royal.
Les militaires de la junte respirent..
La première secousse sismique est venue de la princesse Ubolratana, sœur aînée de l’actuel roi Vajiralongkorn, qui a annoncé, vendredi, sa candidature au poste de premier ministre.
A quelques semaines d’élections législatives délicates qui doivent permettre au royaume, le 24 mars prochain, de renouer avec une forme de démocratie, la sœur du roi a rompu avec la tradition de la famille royale qui est censée se tenir au-dessus des partis.
A soixante-sept ans, celle qui se présente comme une roturière, après avoir abandonné dans les années 1970 son titre pour épouser un américain, ne sera donc pas le premier membre de la famille royale à mettre directement un pied dans l’arène politique.
En toute logique, le parti sous la bannière duquel elle devait concourir a fait machine arrière : « Le parti Thai Raksa Chart se soumet à l’ordre royal », disait le message.
C’était l’autre secousse, concomitante à la première : la princesse, qui reste très populaire dans le royaume, s’engageait aux côtés de Thaksin Shinawatra, bête noire des ultra-monarchistes.
L’ombre de Thaksin
Cet ancien Premier ministre, réputé affairiste, a été chassé du pouvoir en 2006 et vit actuellement en exil.
En poussant en avant une candidature princière, il opérait clairement son retour sur la scène thaïlandaise, à la barbe de la junte au pouvoir.
« Les militaires l’ont conspué. Il revenait alors par la grande porte, la voie royale », expliquait, en fin de semaine, Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse au centre Asie de l’Ifri (Institut français des relations internationales).
La manœuvre était, en effet, extrêmement habile.
Car elle mettait de facto en échec le chef de la junte au pouvoir, qui avait promis d’éliminer les Shinawatra, aidé par une nouvelle Constitution taillée sur mesure.
Excuses publiques
L’annonce surprise a eu pour effet immédiat de radicaliser les camps.
A chaque élection, les « chemises jaunes », représentant l’establishment et les élites de Bangkok, s’opposent aux « chemises rouges », favorables à la monarchie.
Dès vendredi soir, les groupes ultraroyalistes ont célébré sur les réseaux sociaux le camouflet donné à la princesse.
Certains sont allés jusqu’à demander que la sœur du roi fasse des excuses publiques pour s’être alliée avec les « Rouges », couleur des Shinawatra.
Même du côté de l’opposition, la candidature de la princesse était loin de faire l’unanimité.
Même roturière, la princesse reste un membre de la famille royale et aurait donc été traitée comme tel durant la campagne.
Cela signifie que personne n’aurait osé la critiquer de crainte de tomber sous le coup de la loi de lèse-majesté, très dure.
Il y avait risque également que cette nouvelle-venue ne polarise le débat entre le chef de la junte, Prayut Chan-o-cha, lui-même candidat à sa succession et la princesse, reléguant au second plan les vrais enjeux de ces élections.
« La Thaïlande a besoin de faire des choix de société, économiques ou encore de politique internationale » pour aller de l’avant, poursuit Sophie Boisseau du Rocher.
Samedi, sur Twitter, Thaksin n’avait visiblement pas l’intention d’en rester là : « Levez la tête et continuez d’avancer ! Nous tirons les leçons des expériences du passé mais vivons pour aujourd’hui et pour l’avenir. »
Le séisme politique n’a pas eu le temps de faire de dégâts.
Mais les répliques ne sont pas loin.
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