La Cour Constitutionnelle a rejeté hier l’amendement de la Constitution sur le mode d’élection des sénateurs votée par le Parlement. Le gouvernement accuse le coup après la déconvenue suite au rejet par le Sénat de la loi d’amnistie générale. Le Peuh Thai et les partis de la coalition échappent cependant à la menace de dissolution qui aurait signifié le départ du gouvernement. La décision de la Cour sonne cependant comme une seconde victoire pour les Démocrates et leurs supporters qui continuent à occuper la rue et appellent à un grand rassemblement dimanche pour « en finir une fois pour toute avec la dynastie Thaksin ». Les Chemises rouges proches du pouvoir ont réagi par un appel à la mobilisation générale contre « les forces extérieures ».
En Thaïlande, jouir de la majorité absolue au Parlement ne suffit pas toujours pour faire passer des réformes, ni même valider une politique gouvernementale… C’est ce qu’a pu vérifier Yingluck Shinawatra après la débâcle du projet d’Amnistie et le rejet hier par la Cour Constitutionnelle, de l’amendement sur le mode de scrutin des sénateurs. Une « trahison » pour les uns, le sentiment d’une victoire proche pour les autres qui avaient appelé à la « révolution ».
Ce qui est sûr, c’est que la marge de manœuvre du gouvernement s’est resserrée et pourrait être réduite à néant si les neuf juges, saisis cette fois pour statuer sur la constitutionnalité du méga projet de financement des infrastructures ferroviaires, projet adopté par la Chambre Haute la nuit dernière, venaient à le bloquer.
La stratégie des Démocrates, principal parti de l’Opposition, dont l’unique et seul objectif depuis 2005 est de débarrasser, à n’importe quel prix, le paysage politique du clan Shinawatra, fonctionne au-delà de leurs espérances.
Utilisant tous les ressorts légaux (amendements, recours devant la Cour Constitutionnelle, motion de censure, pétitions citoyennes…) pour bloquer les réformes et l’action du gouvernement, ils se sont engouffrés dans la brèche ouverte par le soulèvement populaire contre la loi d’Amnistie générale pour mener un autre combat dans la rue afin d’amplifier le mouvement de protestation et de paralyser le pays.
Objectif qu’ils n’ont pas encore atteint. Les dizaines de milliers de manifestants qui assistent chaque soir depuis deux semaines aux meetings enflammés de Suthep Thaugsuban à Ratchadamnoeng sont peu significatifs à l’échelle du pays et de ses 34 millions d‘électeurs qui ont, depuis 2001, porté systématiquement le clan Thaksin, perçu comme réformateur et proche des classes défavorisées, au pouvoir.
La tentative des dirigeants du Pheu Thai de faire passer en force une loi d’amnistie générale qui ouvrait la porte au retour de Thaksin a été une erreur politique monumentale, et a précipité le gouvernement, déjà empêtré dans sa politique suicidaire de subvention aux riziculteurs et retardé dans ses mégas projets d’investissement, dans une crise sans précédent.
Comme par le passé, le pouvoir judiciaire retrouve un rôle d’arbitrage, arbitrage qui a jusqu’à maintenant largement profité aux conservateurs démocrates. Mais contrairement aux gouvernements pro-Thaksin précédents, Yingluck bénéficie d’un sursis suite à la décision des juges de ne pas dissoudre son parti.
Comme souvent, lorsque les crises politiques ne se dénouent pas dans les chambres du Parlement ou les couloirs des tribunaux, elles trouvent leur force de nuisance dans la rue. Les derniers événements laissent à croire que les deux clans, irréconciliables, ne laisseront pas ce terrain là à l’adversaire. Et à ce jeu, les Chemises rouges pro-gouvernementales ont l’avantage du nombre.
Reste à savoir aujourd’hui comment la Première ministre, qui encaisse les coups, va avancer en terrain miné, alors que le gouvernement a besoin de prendre des mesures rapides pour contrer le risque de basculement dans la violence.
Les forces de l’ordre qui se préparent depuis plusieurs semaines à un affrontement seront-elles capables de garder le contrôle de la situation ? Le passé a prouvé le contraire. Comme souvent, l’armée, absente du jeu pour le moment, pourrait alors faire son entrée.
Philippe Plénacoste