Gavroche est effronté. Gavroche aime les sujets délicats traités sans tabou et avec respect. Alors parlons franchement : le moment est venu, au regard de la situation politique en Thaïlande depuis les élections législatives de mai, de s’interroger sur les mérites de la monarchie, au regard des autres régimes en vigueur en Extrême Orient : république démocratique, régime dynastique accaparé par une famille ou un clan, ou régime totalitaire dominé par un parti unique. La monarchie doit-elle être combattue par essence ? Doit-elle au contraire être défendue sans réfléchir, au nom des valeurs traditionnelles ? Peut elle être réformée et servir la modernité et les libertés ?
Une question très délicate
Nous savons, à Gavroche, combien poser la question dans le royaume de Thaïlande est délicat. Nous savons aussi, à priori, que le cœur de notre lectorat français est sans doute républicain. Mais réfléchissons ensemble. Un pays comme celui-ci, heureusement épargné par la colonisation, a-t-il raison de considérer la monarchie comme une colonne vertébrale capable de le protéger de problématiques influences extérieures et des turbulences intérieures ? Gavroche a lu, comme beaucoup d’autres, les livres interdits de vente dans les librairies thaïlandaises, consacrés au défunt et très respecté roi Rama IX. Gavroche a l’histoire en tête, avec tous ses méandres. Et pourtant notre réponse est limpide : oui, défendre la monarchie constitutionnelle en Thaïlande a du sens. Question de fierté nationale, d’héritage, d’histoire, d’intégration de toutes les communautés religieuses. Le respect de SM le Roi est le produit de cette tradition. Elle mérite d’être reconnue, expliquée et comprise.
Immunité et silence
Vient la question plus difficile : la monarchie doit-elle être intouchable en 2023 ? La réponse, là, est évidemment plus compliquée. Un aperçu des monarchies constitutionnelles en vigueur dans le monde démontre que deux sujets doivent être dissociés : l’immunité du monarque et l’imposition d’un silence total sur les activités de la royauté. Une deuxième évidence est l’obligation, avant toute réforme, d’un consensus social. La réforme du statut de la monarchie ne peut pas, aujourd’hui, être dictée par une partie de l’opinion. Elle doit faire l’objet d’un assentiment large de la population. Un monarque, en 2023, sert à unifier son pays, à en être le trait d’union, et à le préserver des tensions inhérentes à la vie politique. Cette réalité doit être prise en compte. En échange, le rôle d’un souverain est de défendre l’ensemble de ses sujets et d’inciter à la modération et au respect des personnes et de leur intégrité physique. Et si la Thaïlande d’aujourd’hui s’acheminait, malgré les apparences et certaines exubérances problématiques, vers un tel modèle de monarchie moderne ? Gavroche, le petit républicain des Misérables de Victor Hugo, ne peut que le souhaiter.
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Vers 1814, le Tsar de Russie disait que la meilleure constitution, pour la France, serait une république “sagement organisée”, c’est-à-dire sur le modèle anglais, soit à la fois démocratique, avec une assemblée élue au suffrage universel, aristocratique, avec une chambre des “pairs”, et monarchique, avec un roi (un président) intouchable. On voit bien, en effet, que la Thaïlande tend a s’en rapprocher. Mais les choses sont difficiles a mettre en œuvre concrètement, surtout dans un pays, justement en cours d’évolution économique et sociale. Le roi français Louis XV disait que le principe de la monarchie était l’esprit de “conseil et de raison”. Or, la démocratie, libérale par nature, risque toujours de partir à la dérive ; il est donc important qu’un magistrat soit institué afin justement de prévenir toute dérive. A ceci s’ajoute le fait que l’actuelle dynastie a fondé et incontestablement défendu l’indépendance de la nation dans sa forme actuelle, ce qui lui légitime son prestige et son autorité.
Bonjour à tous,
Très belle mise au point sur la monarchie en Thaïlande. Tout à fait juste. L’essentiel est la démocratie. Elle peut prendre, selon l’histoire des peuples, une forme républicaine, ou de monarchie constitutionnelle. Qui dénierait à la Grande-Bretagne son statut démocratique ? Le président de la République, en France, n’est-il pas un peu un ”monarque républicain” ?
L’histoire, la culture thaïlandaise, la volonté générale de ses citoyens, marqués par le très long règne d’un monarque exceptionnel, aimé et respecté, l’inclinent tout naturellement à une forme monarchique. Cependant, comme les républiques, les monarchies peuvent s’avérer plus ou moins autoritaires, plus ou moins modernes, plus ou moins en phase avec un idéal démocratique et avec les aspirations du peuple. Les deux peuvent donc être réformées, améliorées.
Cependant, comme pour les républiques, pour réformer une institution aussi majeure, il est indispensable d’avoir le soutien d’une très large majorité populaire, de bénéficier d’un consensus, en effet. En démocratie, il ne suffit pas d’avoir raison; il faut en convaincre une majorité. Et, plus le sujet est sensible, plus la majorité doit être large. Est-ce le cas, actuellement en Thaïlande ? ”Un pas en avant des masses, camarades, disait Vladimir Ilitch, mais un pas seulement”
JCdP