Un point de basculement est-il proche dans les manifestations et les protestations des étudiants qui secouent Bangkok depuis plusieurs semaines, et qui s’étendent maintenant à d’autres régions de la Thaïlande ? Après la proclamation du nouveau décret d’urgence le 15 octobre, les groupes d’étudiants ont continué à protester, se rassemblant dans les rues de Bangkok pendant le week-end, puis bloquant les transports en commun dans la capitale. La police thaïlandaise retient aujourd’hui plus de 75 dirigeants du mouvement, n’autorisant que deux d’entre eux à sortir sous caution. Et après ?
L’une des difficultés pour les autorités est le caractère diffus et massif de la colère de la jeunesse. Le mouvement étudiant a souvent été décrit, à juste titre et malgré l’émergence de quelques figures de proue, comme un groupe sans leader. La stratégie suivie de «de flash mob», menée par un mouvement de protestation décentralisé des dirigeants à travers Bangkok, permet aux étudiants de nombreuses universités et écoles secondaires de compléter leur nombre chaque nuit. Certains lieux attirent également la population générale en tant que participants.
Délit de lèse majesté
Une autre difficulté pour le gouvernement est de faire taire les manifestations hostiles à la monarchie de plus en plus fréquentes. Toute allusion au Roi est, dans le pays, condamné par des lourdes peines pour délit de lèse majesté. Plusieurs étudiants risquent aujourd’hui la prison à vie après la confrontation entre les protestataires et le cortège royal de la reine Suthida le 14 octobre. Mais comment faire lorsque les actes de défiance se multiplient, y compris en province ? L’objectif de la session extraordinaire du parlement est de remettre le débat entre les mains des représentants élus du peuple, mais l’ombre des manipulations sur les élections de 2019, et la décapitation du parti «Future Forward», rend quasi-impossible un dénouement parlementaire définitif de la crise.
Autre difficulté enfin pour le pouvoir thaïlandais: la gestion de ce mouvement démocratique en pleine crise du Covid et en pleine récession économique. L’ordre du gouvernement d’arrêter les services de train BTS Skytrain et MRT Blueline a gêné de nombreux banlieusards et entreprises qui ont eu du mal à survivre à cause des restrictions de Covid-19.
La tension va augmenter
La tension va donc augmenter au cours de la semaine prochaine à Bangkok. Il y a une grande incertitude sur ce que le gouvernement va faire. La position personnelle de Prayuth en tant que Premier ministre est maintenant très menacée, quoi qu’il arrive.
La possibilité d’une solution violente, via l’intervention de l’armée, est toujours envisageable dans le pays. Mais la Thaïlande de 2020 n’est plus celle de 1976 et des massacres, compte tenu des incertitudes au sommet du royaume, conduiraient sans doute à un chaos généralisé. L’autre option, plus probable, est un changement de gouvernement, avec la nomination d’un premier ministre conciliateur chargé de proposer des solutions. Chuan Leekpai, l’actuel président de la chambre des députés, pourrait faire l’affaire.
Des changements au palais royal ?
Reste enfin l’hypothèse de changements au Palais Royal. Le roi Rama X pourrait décider, comme cela s’est déjà fait dans l’histoire du royaume, de prendre du recul sans rien abandonner de ses prérogatives. Cela parait extrèmement peu probable à ce stade. Le commandement de l’armée répète son soutien à la monarchie et sa volonté de maintenir coute que coute la stabilité et la paix dans le pays. Mais une question se pose aussi sur l’unité des militaires, et la possibilité d’une division de l’Etat major si la crise politique s’aggrave et que les manifestations se poursuivent.
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