Les ONG Human Rights Watch, Amnesty International et l’association Thai Lawyers for Human Rights sont mobilisées depuis l’enlèvement le 4 juin à Phnom Penh du militant pro-démocratie Wanchalearm Satsaksit. Elles réclament des explications, qui ne viennent toujours pas une semaine après les faits, sur cette neuvième disparition d’exilé politique thaïlandais en Asie du Sud-Est depuis 2017.
Une contribution de Philippe Bergues
Les manifestations présentielles de la société civile ou virtuelles sur les réseaux sociaux, l’émoi de la communauté internationale n’y font rien jusque-là : silence radio du pouvoir thaïlandais sur cet enlèvement, ouverture à reculons bien tardive d’une investigation policière par les autorités cambodgiennes. L’Ambassadeur de Suède en Thaïlande, Staffan Herrström, a des raisons de témoigner sa colère : « Il est temps que ça change. Il est temps de dire ça suffit, d’allier la parole aux actes, de défendre les défenseurs » a-t-il lâché.
Des exemples pour créer un climat de peur ?
Les demandes à répétition des gouvernements dominés par les militaires d’extrader les opposants thaïlandais qui ont trouvé refuge dans les pays voisins se combinent avec un processus inquiétant d’enlèvements, de disparitions forcées ou même de corps retrouvés flottants dans le Mekong. HRW notait sur son site en mai 2019, après l’extradition clandestine d’Hanoï à Bangkok de trois activistes thaïlandais accusés de crime de lèse-majesté dont on a toujours aucune nouvelle, qu’en droit international, une disparition forcée est définie comme « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve ». Et soulignait que la Thaïlande avait ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui interdit les arrestations ou détentions arbitraires, les actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que les exécutions extrajudiciaires.
«Mouvement sécessionniste»
Ces trois critiques, Chucheep Chiwasut, un animateur de radio connu pour son discours radical contre la monarchie, Siam Theerawut et Kritsana Thapthai, qui étaient en fuite au Viet-Nam, manquent toujours à l’appel. Le général Prawit Wongsuwan, vice-Premier ministre thaïlandais, avait déclaré à la presse en septembre 2018 que Chucheep Chiwasut dirigeait un mouvement sécessionniste ce qui avait conduit à l’arrestation de plusieurs militants portant le t-shirt de l’Organisation pour une fédération thaïlandaise.
Se croyant à l’abri au Laos communiste, trois militants anti-monarchie et ouvertement républicains, Surachai Danwattananusornand, Kraidej Luelert et un homme connu sous le surnom de Phu Chana (« Camarade Pu Chana »), ont été vus pour leur part la dernière fois à Vientiane le 11 décembre 2018. Les corps des deux derniers ont été retrouvés éviscérés et remplis de béton dans le Mékong en décembre 2019 et les identités authentifiées par les analyses ADN de la police scientifique.
«Sécurité nationale»
Les membres du groupe folk-rock Faiyen (« Feu froid » en thaï) auraient pu subir un sort identique. Menacés dans leur exil laotien à cause de l’acidité de leurs paroles contre la royauté siamoise, ils ont fait l’objet d’une campagne de sensibilisation internationale pour les sauver d’une issue dramatique et ont obtenu en juillet 2019 l’asile politique en France.
La justification par les militaires de la « sécurité nationale » pour réprimer toute dissidence
Avec le renforcement des régimes autoritaires en Asie du Sud-Est, il semble qu’une sorte « d’accord tacite » permette de limiter la marge de manœuvre des exilés politiques dans les pays voisins. Les opposants thaïlandais sont en insécurité croissante au Cambodge, au Laos et au Vietnam car on constate que la répression va bien au-delà des frontières siamoises, le récent cas de Wanchalearm Satsaksit le prouve. Une question cruciale reste en suspens : qui sont précisément les commanditaires de telles exactions contre ces dissidents thaïlandais disparus sans laisser de traces ou détenus dans des endroits secrets dont le « seul crime » est d’exprimer des idées alternatives ?
Philippe Bergues
Diplômé de l’Institut Français de Géopolitique – Paris 8
Professeur de lycée d’histoire-géographie