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THAILANDE – POLITIQUE: La France à l’heure siamoise

Journaliste : Richard Werly
La source : Gavroche
Date de publication : 04/04/2018
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Prayut Chan-ocha, le Premier ministre thaïlandais, rencontrera Emmanuel Macron le 25 juin prochain. Bangkok s’est donc mis, logiquement, en mode séduction, comme l’explique Richard Werly, chroniqueur à Gavroche et correspondant permanent à Paris du quotidien suisse Le Temps, ancien correspondant à Bangkok et Tokyo. La France, elle, veut placer ses entreprises dans la course à l’investissement, quitte à recevoir avec les honneurs un enième dictateur qui ne porte pas la démocratie dans son cœur.

 

Sur le papier, l’exposé apparaît convaincant. Un pays resté ouvert, malgré le contrôle absolu du pouvoir par les militaires depuis mai 2014. Une économie en bonne forme qui retrouve de l’oxygène et sa vitesse de croisière après une année de deuil royal. Une classe moyenne thaïlandaise enrichie, éprise de voyages et d’Europe. Et des chantiers d’infrastructures appétissants pour les grandes firmes hexagonales. N’en jetez plus : la Thaïlande entend séduire la France et ses entreprises.

 

Avec l’espoir que la République, présidée par un certain Emmanuel Macron, alias Jupiter, deviendra sur le continent européen le meilleur allié de la monarchie siamoise avec laquelle ses relations, dans l’histoire, n’ont pas toujours été de tout repos.

 

Cet exposé correspond, bien sûr, à un besoin impératif diplomatique du côté de Bangkok. Fin juin, le Premier ministre thaïlandais Prayut Chan-ocha se rendra en visite officielle en Europe, avec Paris dans sa ligne de mire. Il a atteint son objectif : arracher une réception officielle à l’Elysée le 25 juin conclue par une poignée de mains tout sourire, pour être en quelque sorte adoubé par son locataire quadragénaire et si médiatique.

 

L’argument est recevable. La Thaïlande officielle promet urbi et orbi des élections prochaines. Or la France discute commerce et apporte son soutien diplomatique à des régimes politiques bien plus répressifs. On pense à l’Egypte du maréchal Sissi, tout juste triomphalement réélu à la tête d’un Etat quadrillé par l’armée. On pense à l’Arabie Saoudite, dont le prince héritier Mohamed Bin Salman vient d’achever une tournée de plus d’un mois aux Etats-Unis et en Europe. On pense, en Extrême-Orient, à la Chine, au Vietnam, au Laos.

 

L’ancien royaume de Siam a, côté respect des libertés individuelles, des réalités à faire valoir pour ne plus être boudé au pays de Voltaire. Comment justifier, après tout, de tenir la Thaïlande à l’écart alors que le scandale de corruption lié à la vente de sous-marins à la Malaisie voisine est loin, très loin, d’être éclairci ?

 

Reste donc, pour boucler l’affaire, à trouver une sortie de crise sonnante et trébuchante. Premier acte : obtenir que l’avionneur européen Airbus confirme son intention d’établir un centre de maintenance technique pour ses avions sur le site de l’aéroport de Suvarnabhumi. Par sa taille, et par sa portée symbolique, une telle réalisation économique justifierait en soi le réchauffement du climat politique entre Paris, Bruxelles, Berlin et Bangkok.

 

Deuxième acte : faire valoir l’appétit des géants de l’économie thaïlandaise pour les « pépites» tricolores dans le domaine de l’innovation et de la technologie. CP, Thai Beverage ou le promoteur immobilier Amata sont, selon nos informations, déjà sur les rangs pour identifier les plateformes « Made in France » qui pourraient leur ouvrir les portes du marché hexagonal.

 

Troisième et dernier acte : faire savoir que la candidature de conglomérats français est attendue pour quelques projets phares. Pour l’opérateur privé de transport Transdev ? La future ligne de TGV Bangkok-Suvarnabhumi-U Tapao. Pour Vinci ? L’aménagement des voies routières du prolongement de l’Eastern Economic Corridor (EEC) devenu l’alpha et l’omega de la Thaïlande de demain, version Prayut. Et ainsi de suite…

 

Les diplomates thaïlandais lâchent même en fin de conversation l’argument massue : l’heure est venue de contrebalancer la Chine. Comme si Paris, demain, pouvait rivaliser avec Pékin… Cette France à l’heure siamoise est-t-elle juste une opération de communication ? Quid, après la poignée de mains élyséenne tant espérée, du partenariat entre les deux pays ? Et pourquoi Emmanuel Macron, ce président globalisé si peu familier de l’Asie émergente, se prêterait-il à cette opération de blanchiment démocratique pour une junte militaire solidement installée aux commandes du pays, dont tout porte à croire qu’elle n’a pas l’intention d’abandonner le pouvoir ?

 

La réponse à ces trois questions ne peut venir que de Bangkok. Il ne suffit pas d’agiter, devant les patrons et les dirigeants français, la perspective de contrats, normalement attribués à l’issue d’appels d’offres équitables, donc ouverts à tous. Il n’est guère convaincant de présenter la Thaïlande comme l’incontournable « hub » de l’Asie du Sud-Est, et d’avancer sa prochaine présidence tournante de l’Asean en 2019.

 

L’heure est venue, pour les dirigeants thaïlandais, de dessiner d’autres contours de ce partenariat que celui des seuls bénéfices financiers. Initiatives culturelles ; partenariats académiques ; soutien aux opérations de paix des Nations Unies en Afrique, où les troupes françaises sont à la peine ; revitalisation des archives et des liens si anciens entre les deux pays : la diplomatie n’est pas qu’une affaire de profits immédiats. Les généraux Thaïlandais seraient bien inspirés de réfléchir à ce genre d’ouvertures avant de sonner à la porte du 55 rue du Faubourg Saint-Honoré.

 

Richard Werly (http://www.gavroche-thailande.com)

 

Cet article a été publié dans le Gavroche du mois de mai (N°283), disponible ici

 

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