Nous nous réjouissons de publier en version française l’excellent éditorial signé sur la chaine publique Thai PBS par l’éditorialiste thaïlandais Tulsathit Taptim. Son jugement vient à point : l’un des acquis de cette passe d’armes politique inédite entre la jeunesse et les autorités est, pour l’heure, le maintien de la paix sociale et l’absence de violences. En soi, c’est un événement qui mérite d’être salué.
Nous diffusons ici un éditorial de Tulsathit Taptim, publié sur le site d’informations de la chaine Thai PBS.
La paix est gagnante ce week-end, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Une grande manifestation menée par des étudiants contre plusieurs problème récurrents de la société thaïlandaise a attiré une foule immense et a fait naître des sentiments de familiarité avec les tragédies politiques passées. A une différence près tout le monde était prudent et conscient qu’un petit incident fâcheux pourrait faire déraper la situation.
Provocation… ou pas
Certains actes pourraient être considérés comme de la provocation, comme la pose d’une plaque de commémoration du groupe qui mit fin en 1932 à la monarchie absolue en Thaïlande et installé la monarchie constitutionnelle. Autre exemple: La marche des manifestants vers le bâtiment du conseil privé du roi. Ce qui a été dit sur la scène du rassemblement pouvait aussi faire reculer les conservateurs. Pourtant, les manifestants ont su mettre fin à leurs activités sans l’entêtement habituel qui caractérisait les manifestations politiques précédentes et entraînait toujours de vilaines conséquences.
Prudence des autorités
Les autorités se sont montrées prudentes, évitant de montrer une quelconque mesure de force ou de menace. Le rassemblement de ce week-end était différent des précédentes manifestations politiques en ce sens qu’il semblait transcender les partis politiques et que l’objectif ultime n’était pas d’aider un groupe particulier à gagner des pouvoirs. Il était plus idéologique que les manifestations précédentes.
La question est de savoir ce qui va suivre et si la prudence et la retenue de ce week-end continueront à être la norme dans la politique thaïlandaise habituellement impitoyable. Bien que la semaine se déroule pacifiquement, il reste encore des revendications difficiles à satisfaire et les pessimistes peuvent souligner que lorsque la politique est descendue dans la rue, elle a toujours été “pacifique” au début.
Les demandes de démission du Premier ministre et de création d’une toute nouvelle charte continueront d’être des points chauds potentiels. Prayut Chan-o-cha n’a guère envie de démissionner. Les pouvoirs parlementaires actuels des sénateurs et l’appel à une nouvelle Constitution qui réduit leur autorité constituent un paradoxe dangereux qui peut déclencher des incidents politiques cauchemardesques. La proposition de création d’un organe élu qui prendrait la relève du Parlement dans l’élaboration de la nouvelle Constitution thaïlandaise est toujours d’actualité et divise la coalition gouvernementale.
La Thaïlande sur le fil du rasoir
Les manifestants ont critiqué la monarchie. Les partis politiques, en conséquence, évitent d’être perçus comme les soutenant ouvertement. Il est donc juste de dire que la Thaïlande s’est trouvée sur le fil du rasoir ce week-end, qu’elle en est sortie pratiquement indemne, pour se diriger ensuite vers le prochain fil du rasoir. Prayut peut maintenant pousser un soupir de soulagement, mais la tension va très bientôt se refermer sur lui et son gouvernement. Les manifestants se sont peut-être dispersés, mais eux, leurs partisans et leurs sympathisants doivent déjà travailler sur les prochains plans.
La plus grande question est de savoir ce que les manifestants feraient si leurs demandes concernant le Prayut et la nouvelle charte ne sont finalement pas satisfaites. En Thaïlande, l’expression “des gens désespérés emploient des mesures désespérées” est très souvent invoquée, notamment en politique.
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