Une chronique politique de Philippe Bergues
Ce mercredi 26 mars, la Chambre basse thaïlandaise a largement rejeté la motion de censure de l’opposition contre la Première ministre Paetongtarn Shinawatra par 369 voix contre 162 et 7 abstentions. Ce test très attendu conforte grandement Paetongtarn comme cheffe du gouvernement de coalition entre le Pheu Thai et les partis conservateurs (hormis le Palang Pracharat).
Pourtant, les différentes oppositions avaient annoncé la couleur avant le débat de défiance : la cadette des Shinawatra allait souffrir des questions et allusions à son père Thaksin, considéré comme le véritable premier ministre par beaucoup. A tel point que le président de la Chambre, Wan Muhamad Noor Natha, avait interdit aux députés de prononcer le nom de Thaksin durant ce débat, ces derniers usant de qualificatifs paternels et familiaux pour rappeler à la Première ministre sa condition d’envoyée spéciale du clan Shinawatra au gouvernement. Comme d’autres le furent par le passé, de Somchai Wongsawat, beau-frère de Thaksin, à Yingluck, sa sœur toujours en exil.
Des attaques tous azimuts contre Paetongtarn durant le débat de défiance
Différents angles d’attaque ont été utilisés par l’opposition lundi et mardi lors du débat de défiance : sa prétendue incompétence, notamment dans les affaires économiques, l’acceptation de l’influence de son père et son évasion fiscale couplé d’un évitement de l’impôt.
Le chef de l’opposition et du People’s Party, Natthapong Ruengpanuawut, a déclaré que Paetongtarn n’avait pas l’intention de résoudre les problèmes nationaux et travaillait plutôt pour les intérêts de la famille Shinawatra. En prenant comme exemples l’échec de la lutte contre la pollution de l’air par les particules ultra-fines, l’absence de redémarrage promis de la croissance avec la politique populiste de distribution des 10000 bahts aux plus défavorisés, l’impossibilité de revenir sur les tarifs couteux de l’électricité pour les ménages.
Puis évoquant Thaksin, Natthapong l’a clairement présenté comme « un leader extérieur qui travaille en dehors du système gouvernemental et soumis à aucun contrôle législatif ».
Le général Prawit Wongwuson, leader du Palang Pracharat, brillant par son absentéisme au parlement, n’avait pas voulu manquer ce débat de défiance. Habité par la vengeance liée à l’éviction de son parti de la coalition gouvernementale, Prawit, cravate jaune saillante, a disqualifié brutalement Paetongtarn dans une rare intervention de dix minutes chrono.
« Le pays n’est pas un terrain d’entraînement pour un amateur » a-t-il déclaré, faisant allusion à la mise en danger de la souveraineté thaïlandaise à propos de sa politique étrangère concernant le protocole d’accord de 2001 avec le Cambodge concernant les ressources maritimes et le territoire national. Prawit a également dénoncé le projet phare de légalisation des casinos qui favoriserait « le blanchiment d’argent et les activités illicites ».
Sachant très bien l’opposition du Bumjaithai à cette loi, partenaire majeur de la coalition. Enfin, le général Prawit a clairement évoqué qu’un membre de la famille de Paetongtarn agissait à sa guise pour influencer la politique nationale en convoquant régulièrement des réunions de partis dans sa résidence personnelle. Là où s’est décidé l’ostracisation du Palang Pracharat et de ses ministres aspirants.
L’opposition a également attaqué la première ministre sur la propriété des terres de l’Alpine Golf de la famille Shinawatra dans le parc national de Khao Yai, achetées sans payer de droits fiscaux, et sur la maladie de son père, cloué plusieurs mois dans sa chambre VIP de l’hôpital de la police, à son retour d’exil forcé et suite à sa grâce royale. Ce à quoi Paetongtarn a répondu que des enquêtes étaient en cours et qu’elle était sereine.
Comment comprendre la facilité du contournement de ce vote de censure ?
487 députés étaient présents lors du vote de censure. L’opposition a voté pour la censure et tous les représentants des partis de la coalition gouvernementale ont voté leur confiance à la cadette des Shinawatra hormis sept députés démocrates.
Malgré leurs différences d’appréciation sur certains projets de loi, les députés du Bumjaithai, le « parti bleu » ont soutenu Paetongtarn. Thaksin avait largement balisé le terrain en invitant par anticipation Newin Chidchob considéré comme le chef de facto du BJT et Anutin, le puissant ministre de l’Intérieur. Pas question que le gouvernement de sa fille tombe sur le différend entre les deux partis sur la légalisation avancée des casinos dans cinq villes.
Les successeurs du général Prayut de l’United Thai Nation ont voté comme un seul homme pour le maintien de Paetongtarn. Une preuve de plus que la Thaïlande demeure toujours dans l’ère du deal entre Thaksin et les militaro-royalistes pour empêcher le parti orange de porter atteinte aux intérêts de l’establishment. D’ailleurs, il est aujourd’hui quasiment certain qu’une des mesures phares du Pheu Thai en 2023, partagée avec le Move Forward d’alors, à savoir la réforme de la constitution militaire de 2017 pour un retour à une constitution plus démocratique ne verra pas le jour dans la législature jusqu’aux futures élections générales de 2027.
Philippe Bergues
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