Une analyse de Philippe Bergues
Trois procès en cours impliquant l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra et des allégations de violations de lèse-majesté, ainsi que des tentatives visant à dissoudre le parti d’opposition Move Forward (MFP) et à destituer le premier ministre Srettha Thavisin, ont effectivement plongé le pays dans l’incertitude politique. Examinées par le tribunal mardi prochain, ces trois affaires font du 18 juin, à n’en pas douter, une journée pivot pour la politique thaïlandaise.
Ces trois affaires judiciaires impliquent des manœuvres de ce qui est perçu comme « les anciens pouvoirs ». Par exemple, le procès contre le premier ministre Srettha a été intenté par un sénateur par intérim, et le procès contre le MFP est le fruit d’un pétitionnaire conservateur de droite.
Le Bureau du Procureur général a inculpé Thaksin Shinawatra, en liberté conditionnelle de lèse-majesté et de crime informatique, au début du mois pour son entretien en 2015 avec une chaîne de médias coréenne, un an après le coup d’État qui a renversé le gouvernement dirigé par le Pheu Thai.
Thaksin a déclaré qu’il devait rencontrer les procureurs le 18 juin pour reconnaître les accusations après avoir demandé un report, citant une infection au Covid au début du mois. Sa décision de se présenter devant les procureurs laisse penser que des accords auraient pu être conclus pour obtenir une libération sous caution afin qu’il n’ait pas à faire face au sort des jeunes militants pro-réforme de la monarchie qui restent en prison sans procès. Beaucoup d’observateurs se demandent quelles pourraient être les conditions de libération sous caution de Thaksin, si le tribunal la lui accorde : interdiction de voyager à l’étranger ou bracelet électronique ?
Selon Thaksin, Prawit serait derrière son accusation du 112
Il semble que Thaksin était visiblement frustré par l’acte d’accusation, arguant que l’affaire de crime de lèse majesté contre lui n’avait aucun fondement juridique, car il n’avait pas mentionné la haute institution de manière négative ni fait quoi que ce soit jugé insultant pour la monarchie.
Il a déclaré que la tentative de le renverser était politiquement motivée par des individus puissants, « quelqu’un dans les forêts ». La personne en question n’est autre que le général Prawit Wongsuwon, chef du parti Palang Pracharath qui a été un acteur clé du coup d’État de 2014. Le grand frère du putschiste préside également une fondation pour la protection des forêts dans cinq provinces.
Dans sa requête adressée au tribunal, Thaksin a affirmé que les enquêteurs de la police chargés de l’affaire avaient reçu des pressions pour l’inculper. Les frustrations de Thaksin sont questionnables car le Pheu Thai avait abandonné son partenariat avec le MFP et s’était associé aux partis affiliés au régime militaire, au prix d’un coût politique élevé. Ce « deal » suffisait donc à le protéger selon lui. Dans le même temps, la décision sévère prise à son encontre a été considérée comme une rupture de promesses de la part des militaro-royalistes, qui seraient préoccupés par les mesures agressives de l’ancien premier ministre libéré sur parole pour revigorer son parti. Peu après avoir quitté l’hôpital en février, Thaksin, qui affirmait être si gravement malade qu’il avait dû rester à l’hôpital pendant six mois, a beaucoup voyagé pour rétablir des liens politiques.
On dit que certains éléments de l’ancien régime sont agités par les tactiques vigoureuses de Thaksin, craignant qu’il n’en fasse trop. Cela leur fait penser qu’il est nécessaire de contenir l’ex-premier ministre avec une accusation aussi grave. C’est leur dernière chance d’exercer un tel pouvoir avant de quitter définitivement leurs fonctions. C’est le même groupe de personnes qui est à l’origine de la bataille juridique contre le Premier ministre Srettha à propos de la nomination de Pichit Chuenban, qui avait purgé une peine de prison, dans son gouvernement.*
Le Pheu Thai va t-il changer d’avis pour une amnistie incluant les accusés du 112 ?
Il est intéressant de noter que le facteur Thaksin pourrait forcer le Pheu Thai et le gouvernement à revenir sur le projet de loi d’amnistie qui exclut les accusés du crime de lèse majesté pour le bien de l’ex-premier ministre en liberté conditionnelle. Il convient de noter que le parti avait fermement exempté le crime de lèse-majesté de son projet de loi jusqu’à ce que ce mois-ci, l’ancien chef en liberté conditionnelle ait des démêlés avec cette loi draconienne. Certains législateurs de Pheu Thai ont commencé à suggérer ouvertement que ce serait le moment idéal pour changer la position du parti sur l’article 112.
Cela suscite des spéculations selon lesquelles le Pheu Thai pourrait s’associer au MFP pour faire pression en faveur de l’amnistie qui couvre les cas impliquant des conflits politiques et les cas de lèse-majesté avant le coup d’État de 2006. Ce dernier a ouvertement sympathisé avec les jeunes militants réformateurs qui bénéficieront d’une amnistie aussi étendue. Avec les forces combinées des deux principaux partis, il y a plus de chances que le projet de loi soit adopté. Avec ou sans le soutien du nouveau Sénat ?
Mais le Pheu Thai se rendra compte que ce n’est pas facile, car les conservateurs les plus radicaux feront obstacle. Plusieurs se souviennent encore très bien de la décision de l’administration Yingluck de l’époque en 2013 de faire pression en faveur du soi-disant projet de loi d’amnistie générale, qui a entraîné des troubles politiques, se terminant par un coup d’État du Conseil national pour la paix et l’ordre dirigé par le général Prayut Chan-o-cha le 22 mai 2014.
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