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THAÏLANDE – POLITIQUE: Le «compromis», un mot que personne n’a envie de conjuguer au sommet de l’Etat

Journaliste : Redaction
La source : Gavroche
Date de publication : 21/11/2020
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« La Thaïlande est le pays du compromis » affirmait le roi Rama X le 1er novembre dernier dans une intervention médiatique sans précédent sur Channel 4, lors d’une rencontre avec des bangkokois massés prés du palais royal. Cette phrase a eu pour effet de faire couler beaucoup d’encre dans ses commentaires et interprétations, que ce soit auprès des étudiants eux-mêmes, des ultra-royalistes, des journalistes et experts habitués à couvrir les affaires thaïlandaises. Et provenant de la bouche du monarque, elle a contraint le Premier ministre Prayuth de s’en emparer pour convoquer une session parlementaire afin de proposer une sortie de crise qui examinerait l’orientation du compromis siamois. Mais depuis, rien ne s’est passé. Notre analyste Philippe Bergues s’interroge.

 

Une analyse de Philippe Bergues

 

Deux bonnes semaines après l’intervention du roi Rama X, force est de constater que la Thaïlande ne prend pas le chemin du compromis et après les violences du 18 novembre à l’égard des manifestants, il devient une illusion. Le gouvernement semble avoir rendu son verdict sur les vagues de manifestations et les appels à la réforme constitutionnelle. Il n’y aura pas de réforme de fond et le Parlement se contentera de faire des concessions à la marge.

 

Pourquoi ce compromis est-il impossible ?

 

La proposition de loi la plus démocratique amenée par le groupe de droits Internet Dialogue on Law Reform (iLaw), soutenue par près de 100 000 personnes, et reflétant l’essentiel des demandes des manifestants, a été rejetée, avec le soutien quasi unanime des sénateurs nommés par la junte et en premier lieu, son chef d’alors et actuel Premier ministre, le général Prayuth – et du parti proche des militaires et des tenants du statut quo, le Palang Pracharath.

 

Ce qui ne manque pas de sel car justement, l’une des réformes demandées qui fait quasiment l’unanimité dans ce mouvement #FreeYouthThailand est la fin de la nomination des sénateurs par cooptation « abusive ». Ce mode de nomination a fait l’objet d’une passe d’armes très remarquée et très suivie sur Thairath TV entre l’animatrice du Talk show politique, Jomquan – la « Léa Salamé thaïe » – et la députée Pareena Kraikupt du parti majoritaire, cette dernière incapable de contredire le fait que ce mode de nomination au Sénat privilégiait les militaires pour services rendus ou certains proches du pouvoir.

 

Rejet du «projet du peuple»

 

En réaction au rejet de ce « projet du peuple », les manifestants pro-démocratie sont arrivés par milliers mercredi à l’intersection de Ratchaprasong, où ils ont assiégé le quartier général de la police royale thaïlandaise et ont éclaboussé de peinture tous ses murs. Il semble clair que les manifestants exprimaient leur colère contre la police pour avoir utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes sur les manifestants devant le Parlement, tout en ne parvenant pas à empêcher les affrontements avec les contre-manifestants royalistes. La violence a fait au moins 55 blessés, dont six par balles réelles sans que l’on ne sache véritablement si elles ont été tirées par les ultra-royalistes ou par la police.

 

Aux origines de cette situation

 

L’érosion de la légitimité publique ne peut pas être simplement imputée au roi, mais à l’alliance entre l’armée et la monarchie en tant qu’institution commune. Une partie du peuple thaïlandais s’est habituée et est frustrée par le schéma sans fin d’ingérence dans les affaires politiques, notamment pendant les périodes de régime démocratique.

 

Le renversement de Thaksin en 2006 a déclenché des protestations politiques et une réponse violente de l’État. Les troubles politiques de 2014 ont également « justifié » l’intervention militaire. Les constitutions démocratiques ont été remplacées par des versions autoritaires. La colère du public s’est accrue en février dernier lorsque le Future Forward Party, qui attirait un grand nombre de jeunes, a été interdit, ainsi que son jeune leader charismatique, Thanathorn Juangroongruangkit.

 

L’on pourrait facilement interpréter à tort que les manifestants veulent supprimer la monarchie, mais ce serait une grave erreur de jugement. La vision républicaine est ultra-minoritaire en Thaïlande et ne concerne qu’une poignée d’activistes. la réalité est que la caricature des demandes des manifestants sert le pouvoir en place. Le leader des Chemises rouges de 2010, Jatuporn Prompan, accusait les autorités ce jeudi, « d’avoir intentionnellement permis à des ultra-royalistes armés d’attaquer des manifestants pro-démocratie juste pour que l’affrontement puisse servir de prétexte pour imposer un autre état d’urgence et lancer un coup d’État ».

 

Un épilogue incertain

 

Ces prochaines semaines apporteront un début de réponse au blocage actuel des deux parties sur leurs positions. Volonté de changement constitutionnel démocratique et de faire évoluer la monarchie thaïlandaise avec son temps chez les manifestants, repli rigide sur ses prérogatives issues d’une constitution autoritaire chez les tenants du pouvoir. Le climat actuel n’inspire pas à l’optimisme. D’un côté, l’accentuation des tensions et des violences provoquées par les jusqu’au boutistes royalistes pourraient amener les conditions d’un nouveau coup d’État en Thaïlande mais de l’autre, rien ne prouve que le roi Rama X soutiendrait une telle issue. Le compromis, ces jours ci. est remplacé par un dangereux statu quo.

 

Philippe Bergues
Diplômé de l’Institut Français de Géopolitique – Paris 8
Professeur de lycée d’histoire-géographie

 

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