En complément de l’annonce du protocole d’accord des huit partis de la coalition, Pita Limjaroenrat a déclaré, ce lundi, que sa politique étrangère viserait à développer une plus grande coopération internationale, à promouvoir les droits de l’homme et à relever les défis régionaux.
Celle-ci s’articulerait autour des 3-R à savoir « Relancer, Rééquilibrer et Recalibrer ».
« Relancer » induit pour Pita une diplomatie plus active où la Thaïlande fasse davantage entendre sa voix sur les questions internationales, ne s’appuyant pas seulement sur une « diplomatie discrète » a-t-il déclaré. Avec « Rééquilibrer », Pita a souligné que sa politique étrangère reconnaîtrait le potentiel des puissances moyennes à jouer un rôle de premier plan dans les affaires mondiales et donnerait la priorité à une diplomatie fondée sur les règles. Et pour « Recalibrer », il a ajouté l’importance pour la Thaïlande de prendre en compte les avantages mutuels pour les pays et les organisations du monde entier.
Une nouvelle approche de la situation en Birmanie
Pita a déclaré, « en tant que Premier ministre entrant », la coalition s’engage à faire en sorte que le nouveau gouvernement aborde la situation en Birmanie avec les bons principes et s’engage de manière légitime. La Thaïlande est « expérimentée, prête, disposée et capable » et le cabinet du Premier ministre a le pouvoir de gérer diverses situations le long de la frontière, y compris la mise en œuvre des principes de non-refoulement, a-t-il ajouté. En exprimant ses condoléances suite aux personnes qui ont perdu la vie, leur famille et leur maison à cause du cyclone Mocha, le chef du MFP a déclaré que la catastrophe était une « opportunité pivot » pour la Thaïlande de collaborer avec d’autres dirigeants de l’ASEAN et des organisations internationales pour établir un lien humanitaire et économique. Cela permettra de remédier à la « situation désastreuse » en Birmanie et d’aider à atténuer la crise. Cette orientation nouvelle vis-à-vis de la Birmanie confirme les critiques du Move Forward à l’encontre du gouvernement dirigé par Prayut Chan-o-cha, exhortant l’administration thaïlandaise à imposer des sanctions sévères à la junte militaire « illégitime » de Birmanie et à accueillir sans condition les réfugiés, quelle que soient les conditions sanitaires liées au Covid-19. Fuadi Pitsuwan, fils de feu Surin Pitsuwan, ancien ministre thaïlandais des Affaires étrangères et secrétaire général de l’ASEAN, nommé par Pita pour chapeauter la politique internationale du MFP, déclarait très récemment à propos de la crise en Birmanie : « il y a des moments où il faut se taire. Mais il y a des moments où il ne faut pas se taire. À partir de maintenant, nous ne devrions plus être aussi silencieux qu’avant. Nous pouvons nous exprimer sur la base de nos valeurs démocratiques. La Thaïlande est désormais en mesure de réprimander la junte militaire en Birmanie et en même temps de travailler avec les divers groupes d’opposants au régime ».
Une politique étrangère axée sur les droits humains et les règles internationales
On connaît la traditionnelle « diplomatie du bambou » siamoise, oscillant au maintien d’une position équilibrée entre les puissances libérales dirigées par les États-Unis et les puissances autoritaires représentées par la Chine et la Russie. Il apparaît que Pita veuille redéfinir le rôle de la Thaïlande sur la scène mondiale, en s’appuyant sur les règles internationales et en contribuant à la paix, à la stabilité et au développement durable dans le monde. Cela signifierait-il que la Thaïlande s’opposerait désormais, à l’instar de l’Occident, à l’agression et à l’usage de la force par la Russie contre l’Ukraine ? Rappelons qu’elle s’était abstenue une fois en 2022 lors du vote d’une résolution de l’ONU condamnant l’invasion russe de l’ Ukraine. Rappelons aussi que l’Occident avait pris ses distances avec la Thaïlande à la suite du coup d’État de 2014, l’administration Prayut s’était donc rapprochée de la Chine par le biais de diverses formes de coopération militaire et économique. Comment Pita voit-il ses relations avec Xi Jinping alors qu’il semble plus sur une ligne démocratique et libérale occidentale ? « Pas de mots, pas de poids », a-t-il conclut au Conrad Hotel.
Philippe Bergues
Ce technocrate me fait penser à Macron. Les droit de l’homme, la démocratie et Joe Biden Je t’aime… Encore un soumis à l’establishment qui ne connaît en rien la vie des Thaïs. Faites qu’il ne dure pas.
La Thaïlande n’est pas un empire et sa politique lui est dictée par sa géographie et l’histoire. Sa politique ne devrait pas changer, sauf à s’adapter au changement provoqué par l’affrontement armé en cours entre l’OTAN et la Russie.
La question de la politique extérieure de la Thaïlande est fondamentale. L’observation habituelle montre que la politique étrangère connait une certaine stabilité et continuité lors des alternances politiques et ce d’autant que ces questions ont peu d’impacts dans les élections et qu’elles dépendent des positions de nombreux acteurs extérieurs. La tectonique des plaques au niveau international, en plein changement, est-elle de nature à conduire à modifier, infléchir la position thaïlandaise ? Au plan régional, la question de la position du pays se situe dans le cadre de l’ASEAN et des rapports relatifs des 10 pays membres (11 avec Timor-Leste) . La question des rapports avec le Myanmar est de taille ; c’est un pays en guerre bénéficiant de l’appui militaire de la Chine et de la Russie et frontalier. La Thaïlande est confrontée à l’accueil massif de réfugiés d’origines diverses et éventuellement de groupes armés mais constitue une source non négligeable des besoins énergétiques du pays. En dépit des positions unanimes de façade, la question birmane pose de difficiles problèmes dans les relations entre les pays de l’ASEAN (et notamment l’Indonésie candidat à une forme de leadership), ceux- ci étant parasitées par leur attitudes et politiques à l’égard de la Chine en mer de Chine du Sud. Au plan méta-régional, la politique extérieure thaïlandaise dépend, indépendamment de la question birmane, de la politique chinoise en mer de Chine ( méridionale et orientale), des positions des pays concernés ( dont le Japon, la Corée du Sud, L’Australie, la Nouvelle-Zélande) par les très nombreuses contestations territoriales et l’accès libre dans les eaux internationales. A un niveau plus large, la Thaïlande occupe, avec la plupart des pays de l’ASEAN, une position géographique et stratégique centrale dans l’océan pacifique donc dans ses rapports avec notamment les Etats-Unis mais aussi dans les rapports avec l’Europe, les pays du Moyen-Orient ( et plus largement le continent africain) et le pacifique. La mise en place d’une stratégie indo-pacifique ne pourra manquer d’impacter la politique extérieure de la Thaïlande. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine et la redistribution des rapports de forces qu’il induit semble conduire à la réactivation, sous l’influence chinoise et russe, des B(résil)R(ussie)I(nde)C(hine)S(outh africa) et plus largement du “Sud-Global”. L’Indonésie donne des signes positifs pour rejoindre le groupe. Qu’en sera -t-il de la Thaïlande ? La question du statut de Taîwan et la perspective de conflits, froids ou chauds, entre les Etats-Unis (et les pays européens) et la Chine ne manquera pas de produire des effets dans les positions et les alignements ou les alliances diplomatiques et stratégiques de la Thaïlande. La fameuse “diplomatie du bambou”, héritage de la période coloniale et la position d’État tampon de la Thaïlande même si celle-ci fût, après la 2nde guerre mondiale et dans la lutte contre le communisme (objectif initial de l’ASEAN) nettement orientée vers les Etats-Unis, peut-elle rester l’instrument cardinal et “fétiche” ? Il y a tout lieu de penser que dans les années à venir, les vieux logiciels des relations extérieures seront réaménagés mais, aujourd’hui, les incertitudes sur les réorientations futures sont nombreuses.