Il faut reconnaitre a notre ami et chroniqueur Philippe Bergues une inextinguible volonté d’expliquer les méandres du fleuve pas tranquille qu’est la vie politique Thaïlandaise depuis les législatives du 14 mai. Alors ne boudons pas notre plaisir. Une chronique à lire pour se rattraper…
Pourquoi près de 100 jours après les élections des députés, la Thaïlande n’a toujours pas de nouveau Premier ministre et de gouvernement ?
En tant que parti gagnant avec 151 sièges sur 500, le Move Forward a présenté son unique candidat, Pita Limjaroenrat, au poste de Premier ministre les 13 et 19 juillet derniers. Celui-ci a systématiquement été bloqué par les sénateurs et par les décisions de la Commission électorale et la Cour constitutionnelle. Ces dernières n’agissant pas comme un arbitre neutre tel qu’on pourrait penser leurs rôles dans une constitution « démocratique ». Quand aux sénateurs, tous nommés par les ex-putschistes, ils est clair qu’ils n’entendent pas permettre un gouvernement qui irait contre les intérêts de l’establishment militaro-royaliste.
En réalité, le vote des électeurs thaïlandais se retrouve contourne puisque Pita s’est vu interdire d’être Premier ministre et son parti, le Move Forward, n’a pas obtenu la présidence de l’Assemblée et a été exclu de la coalition majoritaire initiale des huit partis. Désormais, il appartient au Pheu Thai, arrivé en seconde position au scrutin avec 141 députés, de tenter de former un gouvernement.
Avec qui le Pheu Thai va t-il former une coalition gouvernementale ?
Pour l’instant, le Pheu Thai annonce 238 députés sur 498 dans sa coalition. 498 car Pita est suspendu et une élection partielle à Rayong d’un député démissionnaire du MFP doit avoir lieu. Cette nouvelle coalition comprend les 141 députés du Pheu Thai auxquels s’ajoutent 71 du Bumjaithai, 10 du Chart Thai Pattana, 9 du Prachachat, 2 du Chart Pattana Kla, 2 du Pue Thai Rumphlang, et 1 des Thai Liberal, Plung Sungkom Mai et Thai Counties. 260 députés seraient dans cette configuration dans l’opposition. Mais pour autant, certains d’entre eux pourraient voter pour le candidat du PT au poste de Premier ministre, Srettha Thavisin.
Pourquoi les partis militaires pourraient voter pour Srettha Thavisin, voire être inclus dans la coalition gouvernementale ?
L’arithmétique pour le candidat Pheu Thai au poste de Premier ministre reste la même que pour Pita : il lui faut obtenir 375 voix des parlementaires, députés et sénateurs, pour être élu. Les grands patrons et acteurs économiques thaïlandais de l’industrie et du tourisme appellent à une véritable visibilité à moyen terme que ne peut offrir le gouvernement intérimaire du sortant Prayut Chan-o-cha. Le pays a un besoin urgent d’un nouveau cap aux affaires dans un contexte de forte concurrence sud-est asiatique (Indonésie, Vietnam et Malaisie notamment).
C’est pourquoi le Pheu Thai met la pression pour sortir de l’impasse en annonçant ce jeudi, qu’il cherchait à établir « un gouvernement populaire en recherchant des soutiens de toutes parts car le pays a besoin d’un gouvernement pour faire face aux crises nationales et économiques ». Ce à quoi, le Palang Pracharat du général Prawit Wongsuwon a répondu que l’ensemble de ses 40 députés « soutiendrait le Pheu Thai lors du vote du Premier ministre, mais n’a pas encore été approché pour rejoindre la coalition gouvernementale et n’en ferait pas une condition, pour l’instant ».
Néanmoins, on peut constater que la promesse électorale du Pheu Thai de ne pas inclure les partis des « oncles » Prayut et Prawit dans un cabinet commun est en passe d’être démentie. La digue peut (va?) très vite sauter car n’oublions pas aussi, que se joue en arrière plan, le retour en Thaïlande de Thaksin Shinawatra, lui qui assistait ces derniers jours avec Yingluck à l’anniversaire de Hun Sen au Cambodge. Le fameux accord de Hong Kong se joue en ce moment même.
Le chef adjoint du Pheu Thai, Phumtham Wechayachai, a déclaré, ce vendredi, que « si la coalition dirigée par le PT pouvait obtenir plus de 300 députés, le quota ministériel attendu serait d’environ 9 députés par siège ministériel et que leur attribution se ferait quand les partis auront donne leur accord ». En ajoutant « qu’une condition potentielle pourrait consister à empêcher le parti qui détenait des sièges ministériels dans le précédent gouvernement de reprendre les mêmes fonctions, pour faire preuve de transparence ».
Ce même vendredi, le chef adjoint de l’United Thai Nation (parti fait pour Prayut Chan-o-cha, rappelons-le), Suchart Chomklin a déclaré que « si le parti décide de rejoindre la coalition dirigée par le Pheu Thai, tout le parti agira ensemble » et que, si la prérogative de voter pour le Premier ministre appartient à chaque député, il estime que « le parti devrait voter de manière à favoriser l’avancement du pays et l’unité nationale ». La réconciliation entre le parti des Shinawatra et ceux qui l’ont mis hors jeu du pouvoir n’a jamais été aussi proche, ce qui lui amènerait 76 députés supplémentaires dans la coalition pour passer le cap des 300.
Le Pheu Thai va t-il être considéré comme un « traître » à la démocratie ?
Il ne fait aucun doute qu’un « retournement de veste » du Pheu Thai s’alliant avec les partis militaires sera vu par une grande majorité d’électeurs comme une trahison. Déjà, de nombreux groupes de militants pro-démocratie l’ont fait comprendre, lors de happenings près du siège du parti, dès que l’alliance avec Anutin Charnvirakul du Bumjaithai a été connue. Et les Chemises rouges inondent le Pheu Thai de rappels des 90 morts des manifestations de 2010, « martyrs de la démocratie contre l’armée ».
Les réseaux sociaux bruissent de possibles défections d’une trentaine de députés du Pheu Thai qui pourraient aller vers le MFP en cas d’alliance avec les « oncles ». Les dirigeants l’ont bien compris, et pour sauver les apparences, ont organisé une sortie à pied, très médiatisée, au siège du Move Forward mercredi dernier, avec Paetongtarn Shinawatra à leur tête, afin de négocier le soutien du MFP à Srettha Thavisin dans le vote du Premier ministre. En échange de la promesse d’en finir avec la constitution militaire et d’ouvrir la voie à une plus démocratique. Mais le Pheu Thai est ressorti de cette réunion les poches vides.
Le secrétaire général du Move Forward, Chaitawat Tulathon, a déclaré que le parti tiendrait compte de l’opinion de ses électeurs avant de décider si leurs députés voteront ou non pour le candidat du Pheu Thai Premier ministre, la semaine prochaine. « Chaque parti doit écouter la voix du peuple » a t-il souligné. On voit très mal comment le parti « orange » pourrait voter pour un candidat à la tête d’une coalition incluant des partis qui ont sciemment bloqué Pita Limjaroenrat à deux reprises. Si le Move Forward reste intègre et fidèle à ses principes, il s’imposera, de loin, comme la première force de la future opposition.
Philippe Bergues
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juste un détail mais fond du problème : monsieur Bergues qui ne séjourne pas en Thaïlande, semble-t-il, ne sait pas que la justice de ce pays est indépendante, oui, indépendante, et cela étonne les pays voisins ou la corruption atteint même les tribunaux. Si le sieur Pita a tant de problèmes, c’est bien parce que, comme son grand ami Thanatorn, il n’a pas les ailes bien blanches. ITV qui déclare 22 millions de bénéfices en 2022…à l’arrêt ? et d’autres casseroles qui sont sur le point de sortir…d’où son peu de ténacité à vouloir le poste ; il savait qu’en insistant, des enquêtes seraient menées sur sa vie perso…a propos quelqu’un a lu les 300 propositions du move forward ? impossible à trouver nulle part, à peine 15 item sur le net…bizarre quand même un programme qui n’est pas dévoilé…à part les propositions woke venant d’occident et l’augmentation des pensions bien vite rejetées. Au fait, il est pour ou contre le cannabis notre playboy ? à 2 ans d’intervalle, il dit le contraire !
Quant aux alliances du Pheu thai, ça ne sent pas bon du tout, ça va dans tout les sens…et Thaksin qui attend à la porte: on revient en 2014 avec une loi d’amnistie ?….