Le retour annoncé en Thaïlande de l’ancien premier ministre Thaksin Shinawatra pourrait être un facteur décisif de recomposition politique dans le Royaume. Philippe Bergues explique pourquoi son pardon – ou non – jouera un rôle clef.
Par Philippe Bergues
La période post-électorale thaïlandaise est en train de se transformer en thriller politique. En « guest-star », l’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, vainqueur des élections générales à deux reprises consécutives en 2001 et 2005 (un record), renversé par un coup d’État en 2006 et exilé depuis 2008 entre Londres et Dubaï. Depuis le début de l’année 2023, ses visio-conférences « en live » à l’attention de ses nombreux supporters, diffusées sur la plateforme « Clubhouse » sous le nom de Tony Woodsome, ne cessaient d’affirmer que son retour en Thaïlande était proche. Puis durant la campagne électorale, la date donnée fut plus précise : « Tony » rentrerait au pays pour son 74ème anniversaire le 26 juillet. Problème : son parti, le Pheu Thai, dont sa fille Paetongtarn nominée comme 1ère candidate Premier ministre, n’a pas obtenu le « glissement de terrain » martelé et espéré aux élections. 141 sièges alors qu’au moins 220 étaient attendus (fourchette basse). Pire pour les Thaksiniens, le Pheu Thai est arrivé en deuxième position derrière les 151 sièges du Move Forward Party de Pita Limjaroenrat.
Or voilà qu’un autre scénario se profile, après l’échec à deux reprises devant le parlement du leader du parti Move Forward : le retour de Thaksin Shinawatra en Thaïlande contre un accord de gouvernement entre le Pheu Thai et des partis impliqués dans la période putschiste et de « démocrature » entre 2014 et 2023. Un scénario qui ressemble fort à ce que l’ex vice premier ministre Prawit Wongsuwon évoquait avant le scrutin comme « une réconciliation nationale dans l’intérêt de la nation ».
L’accord de Hong-Kong révélé par Chuwit Kamolvisit
Ou en est-on exactement ?
Tout d’abord, Thaksin et Paetongtarn Shinawatra ont rendu public la date du retour de l’ancien Premier ministre sur le sol siamois : ce sera le 10 août, en jet privé, avec atterrissage probable à l’aéroport de Don Muang. Ensuite, l’ancien magnat des salons de massages et lanceur d’alerte anti-corruption, Chuwit Kamolvisit, a donné une conférence de presse ce jeudi, où il annonce qu’un « deal entre Thaksin et des partis de la majorité sortante » a été établi en début de semaine à Hong-Kong. Selon lui, le Pheu Thai aurait conclu un accord de gouvernement avec le Bumjaithai et le Palang Pracharat, en excluant le Move Forward. Cette coalition réunirait 279 députés.
« Avec cette nouvelle coalition, le MFP, les Démocrates et l’United Thai Nation (parti de Prayut Chan-o-cha), formeraient l’opposition », selon Chuwit. Une piste évoquée est que le Pheu Thai laisserait la tête du gouvernement au Bumjaithai et à son leader Anutin Charnvirakul. Thaksin Shinawatra reviendrait donc au pays avec, comme effet immédiat, la mise hors jeu du MFP et de ses propositions de réformes.
Quelles conséquences d’un tel accord bafouant totalement le résultat des élections ?
Les auteurs de cet accord pensent-ils que le public est assez ignorant pour croire que Thaksin Shinawatra reviendrait au pays, s’il risquait vraiment à 74 ans, au moins 10 ans de prison suite à ses jugements antérieurs ? La volte face des généraux est en tout cas frappante. Le général Sonthi Boonyaratglin, qui a dirigé le coup d’État de 2006 renversant le gouvernement Thaksin, a déclaré, ce vendredi, que l’ancien Premier ministre « a le droit de rentrer chez lui puisque la Thaïlande est sa maison et il est louable qu’il est prêt à faire face au système judiciaire ». Il a ajouté que « si le Pheu Thai assume la direction du prochain gouvernement, il devrait continuer à trouver des moyens d’atténuer les conflits dans le pays ». Allusion à une désescalade des revendications des partisans du MFP à une réforme de la monarchie.
Même le plus vieil ennemi de Thaksin, le magnat Sondhi Limthongkul, ancien chef des Chemises Jaunes, ne voit plus aujourd’hui Thaksin comme une menace. « Puisqu’il est prêt à faire face à la justice et que le Pheu Thai insiste sur le fait qu’il est fidèle à l’institution royale en restant à l’écart de l’amendement de lèse-majesté, il n’est pas nécessaire de lutter contre lui » a t-il déclaré.
Tous semblent considérer que le retour au pays de Thaksin est la solution pour la préservation d’intérêts face à la « nouvelle menace » que représente le Move Forward. Même le vice-Premier ministre intérimaire Wissanu Krea-ngam, proche de l’ennemi juré de Thaksin, Prayut Chan-o-cha, a déclaré qu’à son arrivée le 10 août , Thaksin « pourrait demander des privilèges accordés aux détenus en raison de son âge ou de son état de santé, et demander une grâce royale une fois incarcéré ». Preuve que le terrain est balisé
Le pouvoir ou les principes ?
Le Pheu Thai a maintenant le choix entre le pouvoir et les principes. Si les termes de l’accord énoncé deviennent réalité, il aura clairement bafoué ses principes clamés durant la campagne électorale et déçu ses partisans. Avec le risque d’une sanction grave lors de scrutins postérieurs. Mais il sera au pouvoir et Thaksin sera rentré à la maison. « La Thaïlande est le pays du compromis » avait affirmé SM le roi Vajiralongkorn, en novembre 2020. Une déclaration à relire sous un angle nouveau aujourd’hui…
Philippe Bergues
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Une sorte de de Gaulle thaïlandais, en somme… Espérons qu’il rencontrera plutôt un Auriol ou un Queuille qu’un Massu… C’est a cela qu’on mesure la maturité politique d’une démocratie…