Philippe Bergues suit de près les rebondissements politiques thaïlandais. Notre chroniqueur a donc décidé de revenir sur cette journée pas comme les autres qui a propulsé, mardi 22 août, le promoteur immobilier Srettha Thavisin au poste de premier ministre.
Par Phillippe Bergues
Ce mardi 22 août 2023 restera gravé dans les mémoires de l’histoire politique thaïlandaise. Après 15 ans d’auto-exil entre Londres et Dubaï, l’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, le chantre des Chemises rouges et ancien adversaire numéro un de l’establishment militaro-royaliste, a reposé les pieds sur le sol de sa patrie. Ce scénario écrit aurait dû se passer plus tôt en juillet. Mais l’inattendue victoire du Move Forward Party aux élections du 14 mai dernier l’a retardé dans son déroulement. Car il ne fait aucun doute qu’un accord en coulisses avait déjà été passé entre Thaksin et les partis de l’ancienne majorité, que ce soit ceux représentant les anciens putschistes (notamment le Palang Pracharat de Prawit Wongsuwon ou le Bumjaithai d’Anutin Charnvirakul).
Tous les signaux montrent en effet que le retour de Thaksin avait été planifié bien en amont. Est-ce un hasard si le thème de campagne du Palang Pracharat, maintes fois relaté par le général Prawit était « la réconciliation nationale » avec la volonté de prendre le « meilleur » de chaque programme pour un gouvernement de coalition ? S’entend évidemment sans les propositions considérées « révolutionnaires » du parti « orange » de Pita Limjaroenat allant selon eux, contre le maintien d’un ordre établi basé sur le triptyque immuable « Nation, Roi et Religion ».
Est-ce une une bizarrerie de calendrier si Anutin et Srettha Thavisin, alors nominé deuxième candidat Premier ministre du Pheu Thai, se sont rencontrés en Angleterre au King Power Stadium de Leicester lors d’un match du championnat anglais, club appartenant à la famille Srivaddhanaprabha, proche des élites royales et propriétaire du groupe éponyme dans le Top 5 des conglomérats thaïlandais ? Sans oublier le retrait annoncé de la vie politique du plus anti-thaksinien des ultra-royalistes, le général putschiste et Premier ministre intérimaire, Prayut Chan-o-cha, à l’inimitié connue du clan Shinawatra, dont la décision a aussi favorisé le rapprochement de son parti, l’United Thai Nation du Pheu Thai. Décision capitale amenant 36 voix dans la besace de Srettha Thavisin en échange de postes ministériels dans la coalition gouvernementale à venir.
Les faits sont là : Thaksin et le Pheu Thai ne sont plus l’ennemi juré des forces conservatrices et deviennent dès à présent partie intégrante de l’establishment. Il est évident que le nouvel ennemi pointé est le Move Forward avec son idéologie critique de la monarchie, des hauts gradés de l’armée et des oligarques affairistes dans une position de monopoles. Malgré l’espoir du peuple thaïlandais d’un véritable changement illustré par le résultat des urnes, il était impossible à Pita d’accéder au pouvoir à cause des garde-fous constitutionnels et judiciaires mis en place dans la constitution militaire de 2017.
Srettha Thavisin devient le 30ème Premier ministre du royaume. Et maintenant ?
Fort de toutes ces combinaisons préparées, Srettha Thavisin vient d’être élu chef de gouvernement avec 482 voix de parlementaires, dont 152 sénateurs, alors que seuls 23 d’entre eux avaient voté pour Pita le 13 juillet dernier. La comparaison est saisissante. Une ordonnance royale certifiera Srettha comme Premier ministre à 18h, heure de Bangkok. Notons pour la symbolique que le frère de Prayut, le sénateur et général Preecha Chan-o-cha, a voté pour lui. La grande réconciliation est en marche et la hache de guerre enterrée. Sur le dos du Move Forward et de ses 14 millions d’électeurs et, certainement aussi, sur celui des électeurs du Pheu Thai qui ont cru à la promesse d’une alliance impossible avec les « oncles ».
Les prochains jours nous éclaireront sur la répartition des portefeuilles ministériels avec le ratio annoncé par le chef du Pheu Thai, Chonlanan Srikaew, d’un poste pour 9 députés. Ce nouveau gouvernement a très certainement été validé par Thaksin Shinawatra lui-même, avec l’influence qu’on lui connaît, tant d’anciens élus du Thai Rak Thai parsèment les rangs des partis, au Palang Pracharat en particulier, Thamamat Prompao étant l’exemple idoine du navigateur politique, à la fois adoubé par Thaksin et Prawit. L’accord de Hong Kong n’a finalement été qu’une répétition réactualisée du deal antérieur entre les Thaksiniens et les forces conservatrices pour sécuriser l’élection de Srettha Thavisin,qui fut un collaborateur économique rapproché de Yingluck durant son mandat raccourci (2011-2014), alors qu’il présidait le conglomérat immobilier Sansiri.
Que va devenir Thaksin Shinawatra dans ce nouveau contexte ?
Pour l’heure, le Département des services correctionnels a déclaré « qu’il souffrait de cinq problèmes de santé et sera détenu dans un service médical séparé au sein de la prison et surveillé par des médecins spécialistes ». Il est peu probable que Thaksin purgera sa peine de huit ans de prison. La Chambre pénale de la Cour suprême a rendu aujourd’hui un jugement qui laisserait à penser à un « grand pardon de la corruption ».
Le grand pourfendeur des Shinawatra, Suthep Thaugsuban, qui était à la base des manifestations ayant permis le coup d’État de 2014 renversant Yingluck, la sœur de Thaksin, a pour sa part été acquitté de ses accusations de corruption dans les marchés de constructions de postes de police et de logements pendant son mandat de vice Premier ministre. La réconciliation fonctionne dans les deux sens, donnant-donnant, et maintenant, il ne serait pas surprenant que Thaksin bénéficie, à court ou moyen terme, d’une grâce royale qui lui permettrait de retrouver une entière liberté de mouvement dans l’ancien Siam. Le vœu de Thaksin énoncé le jour de son anniversaire, le 26 juillet dernier, lors d’une visioconférence avec ses partisans, s’est réalisé : lui revenant pour s’occuper de sa famille et Srettha Thavisin à Government House pour diriger le pays.
Une nouvelle ère pour la Thaïlande, mais quel degré d’acceptation du peuple thaïlandais d’avoir été ainsi floué de ses votes ?
Philippe Bergues
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Tout cela est assez comique, il n’y a pas d’autres mots au pays du sourire ou du rire… tout cela est homogène avec les sino-thaïs qui se bagarrent entre eux… Les thaïlandais constatent et se taisent…