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THAILANDE – SOCIETE: Accidents de la route en Thaïlande : les raisons d’un carnage

Journaliste : Gabriel Bertrand
La source : Gavroche
Date de publication : 07/01/2018
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Lors des grands exodes des fêtes de fin d’année et du Nouvel An thaïlandais (Songkran) en avril, les autorités appréhendent les « 7 most dangerous days », ces deux périodes de l’année où l’on comptabiliserait le plus d’accidents sur la route. Traînant sa réputation de deuxième pays le plus meurtrier au monde après la Libye, tous les efforts des gouvernements successifs en terme de sécurité routière ont échoué, le nombre de tués et de blessés continuant d’augmenter chaque année. Des infrastructures inadaptées, un système déficient, une police mal équipée, des lois laxistes, la corruption, des conducteurs mal formés… les raisons s’accumulent. L’une d’entre elles est particulièrement pointée du doigt : la désobéissance civile au code de la route.

 

Le 2 janvier 2017, sur la route de Chonburi, une collision entre un minibus et un pick-up provoquait la mort de vingt-cinq personnes, dont deux  enfants. L’accident ponctuait un bilan catastrophique : entre le 29 décembre 2016 et le 4 janvier 2017, 478 personnes sont décédées dans un accident de la route – plus que les années précédentes – et ce en dépit de la « Road Safety Campaign », le vaste plan gouvernemental de prévention censé contrôler les usagers et réduire le nombre d’accidents pendant la période des fêtes.

 

Ce chiffre donné par le Centre de Sécurité routière serait en réalité bien supérieur s’il prenait en compte les blessés qui décèdent après l’accident. L’Organisation Mondiale de la Santé intègre dans ses statistiques une période de trente jours d’attente avant de déterminer si le crash a été fatal ou non. Dans son rapport de 2015 sur la sécurité routière dans le monde (Global Status Report on Road Safety), l’Organisation mondiale de la Santé faisait ainsi état de 1,25 million de morts par an, soit un peu plus que le paludisme.

 

La Thaïlande arrive à la deuxième place des pays aux routes les plus meurtrières, derrière la Libye et devant le Malawi, le Congo et le Libéria, avec un ratio de 36,2 tués pour 100 000 habitants. Ainsi, selon l’OMS, 24 599 personnes auraient perdu la vie sur les routes thaïlandaises en 2015, soit en moyenne 67 par jour.

 

Les statistiques officielles du ministère de la Santé thaïlandais font eux état d’environ 14 000 décès par an. A titre de comparaison, la France, qui affiche une population à peu près identique à celle de la Thaïlande, a comptabilisé 3430 morts en 2015.

 

Un lundi soir, 19 heures. Au QG du centre de secours de la fondation Po Tek Tung, en plein Chinatown, les ambulanciers tentent de décompresser en fumant comme des pompiers. Ils s’apprêtent à prendre le relais de la première équipe et passer la nuit à secourir les accidentés de la route, ou ramasser les morts.

 

 

Avant de commencer le service, inspection des troupes au garde-à-vous. Les ambulanciers se distinguent par la couleur de leurs uniformes : en blanc, ce sont les infirmiers; en jaune ceux chargés de ramasser les morts et de les envoyer à la morgue.

 

Les sourires faciles cachent difficilement le stress d’un métier éprouvant où la violence des accidents fait partie de leur quotidien. En duo, ils sillonnent la ville à l’affût d’un secours à apporter, la plupart du temps après un accident. Quelques minutes après le début du service, une collision entre deux scooters est signalée sur Vibhavadi Rangsit Road – autrement appelé le Din Dang Triangle – un infernal carrefour ou pas moins de quatre voies s’enchevêtrent.

 

« Il y a toujours des accidents à cet endroit, alors on reste pas loin », indique Chai Wat, l’ambulancier. Cette fois, les accidentés s’en sortent relativement indemnes. L’un a un hématome au front (il roulait sans casque), l’autre  une main en sang et un doigt de pied éclaté (il roulait en tongs). Ils sont transportés à l’hôpital le plus proche. Bien loin devant les taxis, parfois coupables de manœuvres dangereuses à la vue d’un client, c’est auprès des motocyclistes que Chai Wat et son collègue interviennent le plus fréquemment.

 

Pourcentage de motos impliquées dans les accidents (sources : OMS – Sécurité Routière – 2015)

 

Nombre de véhicules enregistrées (en millions – 2015 – source OMS)

 

Nombre de morts sur la route pour 100 000 habitants (source OMS – 2015)

 

En Thaïlande, les trois-quarts des accidents mortels concernent en effet les deux-roues. Si les motocyclistes sont autant impliqués dans les accidents, c’est avant tout parce qu’ils sont massivement utilisés dans le pays où ils représentent près de 60% du nombre total de véhicules motorisés immatriculés. Le non-port du casque expose tout particulièrement les conducteurs et leurs passagers aux traumatismes crâniens, souvent mortels.

 

Le docteur Thanapong Jinwong, directeur de l’ONG Road Safety Policy Foundation, déplore l’échec des campagnes de sensibilisation successives qui prônent le port du casque depuis vingt-cinq ans. En 2011, la moitié des conducteurs de motos portaient un casque – un sur cinq pour les passagers.

 

Aujourd’hui, le chiffre est resté le même. « La plupart des conducteurs sans casque estiment leur destination assez courte pour s’en passer. Pourtant, une de nos statistiques prouve qu’une blessure sur trois à la tête provient d’un  accident survenu à moins de trois kilomètres du point de départ. La mort est à chaque tournant ».

 

A titre de comparaison, au Vietnam, 97% des conducteurs de motos portent le casque. Le pays, qui compte plus de deux-roues moto-risées que la Thaïlande, se classe à la 42ème position du classement de l’OMS.

 

 

Samang Sawanjang dirige l’équipe de nuit du centre de secours Po Tek Tung. La fondation caritative existe depuis plus d’un siècle.

 

En Thaïlande, rouler sans casque, c’est en théorie s’exposer à une amende de 500 bahts (13 €). La corruption résout bien souvent une infraction aussi banale. A Bangkok et dans la plupart des villes du pays – à l’exception de quelques petites poches touristiques comme à Phuket –, les policiers n’y prêtent même plus attention.

 

« Comment voulez-vous qu’on arrête ces milliers de gens ?, plaide Veeravit Vijayagukha, chef adjoint de la police de la route de Bangkok. De très nombreux conducteurs ne respectent pas la loi, on peut le constater tous les jours. Il a ceux qui ne portent pas de casque, mais aussi ceux qui roulent à contre-sens ou sur les trottoirs, qui dépassent les limitations de vitesse ou conduisent sous l’emprise de l’alcool ».

 

Selon lui, la police manque d’appuis techno-logiques, comme les caméras de surveillance. En février dernier, une quinzaine d’entre elles ont été mises en place à Bangkok. Elles identifient la plaque du conducteur ayant commis l’infraction. Une amende est alors directement envoyée à son domicile.

 

Elles évitent aussi les querelles et les tentatives de corruption entre policiers et usagers lors des interpellations, l’un des grands problèmes du pays et qui rend la « peur du gendarme » moins efficace. « Quand vous savez que la seule conséquence de se faire arrêter sans casque, sans permis de conduire ou sans les papiers du véhicule est de devoir glisser un billet de 100 bahts dans la main du policier, vous n’avez aucune raison de respecter la loi », constate un expatrié à Bangkok.

 

Les nouvelles caméras entrent dans le budget de 580 millions de bahts récemment approuvé par le gouvernement, afin d’investir dans du matériel de détection et de prévention. Ce qui devrait également permettre aux forces de l’ordre de se procurer de nouveaux éthylotests. Selon l’Accident Prevention Network, les quatre mille commissariats de police que compte le royaume ne disposeraient que de deux mille éthylotests électroniques (à différencier de  l’alcootest chimique à usage unique, moins fiable et présent en quantité). L’ivresse au volant provoque un quart des accidents mortels.

 

Le docteur Liviu Vedrascoe, qui travaille pour l’OMS, va plus loin et estime que le gouvernement devrait investir dans un système de base de données informatiques qui dissuaderait certains usagers de récidiver. « Aujourd’hui, vous pouvez être arrêté trente fois pour le même délit : la sanction restera la même. Les usagers n’ont ainsi pas peur de recommencer. La police a pourtant les moyens de mettre en place un système pour centraliser les infractions et les délits ».

 

Voilà l’un des problèmes essentiels : le manque de dissuasion. Cette lacune, avec l’absence de radars automatiques, différencie la Thaïlande des pays où l’on a su réduire le taux de mortalité de manière significative. Liviu Vedrascoe pointe du doigt un autre facteur accidentogène : selon lui, les routes du royaume ne sont pas à la hauteur, en termes d’infrastructures et de sécurité, pour accueillir 32 millions de véhicules.

 

« Insister sur la sécurité passive »


 

L’essor automobile en Thaïlande s’est fait à vitesse grand V : depuis les années 60, la majorité des investissements du transport public a été destinée à la construction de routes et d’autoroutes, contrairement aux chemins de fer et aux moyens de transports maritimes. Appuyée et influencée par les Américains, la Thaïlande est devenue une grande consommatrice de véhicules motorisées.

 

Dans les années 80, ce phénomène s’est amplifié avec la volonté du royaume de devenir le « Detroit d’Asie ». Des constructeurs automobiles étrangers – en particulier japonais – se sont installés dans le pays et ont ainsi fait fleurir le marché. En 2011, la politique d’incitation fiscale pour les « first time buyers » (primo-acheteurs) du gouvernement de Yingluck Shinatawara n’a fait qu’accroître de façon significative le nombre de véhicules.

 

Selon le chef adjoint de la Police routière de Bangkok, le réseau routier de la capitale ne peut accommoder qu’un tiers des neuf millions de véhicules en circulation. Et c’est bien là la part du problème. L’organisation et la disposition parfois chaotique des voies et de ses équipements mal adaptés favorisent le non respect du code de la route, voire une certaine forme de comportement anarchique chez les usagers.

 

C’est en tout cas l’avis du docteur Thanapong Jinwong, de la Road Safety Policy Foundation, qui pointe particulièrement la signalisation, selon lui insuffisante. « Parfois, la signalisation est si confuse qu’elle perturbe plus l’usager qu’elle ne l’aide. L’agencement des routes peut aussi constituer un grand danger, comme à certains carrefours par exemple. »

 

Thanapong soulève également la vétusté de certains équipements, comme ces barrières de sécurité qui ont plus de cinquante ans. « Le réseau routier nécessite plus de ronds-points, de panneaux de signalisation avertissant d’un danger ou d’un croisement, de lignes de  démarcation, de feux de signalisation, de fossés ou d’arbres entre les voies qui se croisent en sens inverse pour empêcher d’éventuelles collisions », insiste-t-il.

 

Si le responsable de la fondation pour la sécurité routière reconnaît qu’il serait difficile de modifier en profondeur le système, « il peut cependant être amélioré ». C’est ce qu’il appelle « la sécurité passive ». Car pour Thanapong Jinwong, « hormis la répression qui doit dissuader et la prévention qui doit sensibiliser, la modification des équipements a une incidence indirecte sur le taux d’accidents ». Et les idées ne manquent pas : plus de poteaux pour entraver l’accès des trottoirs aux motos, plus de ralentisseurs de vitesse, moins de U-turn et plus de voies réservées aux vélos et motos.

 

La professeure Kanavee Kanidpong, directrice du Thailand Accident Research Center, est du même avis : « Les gouvernements successifs ont mis l’accent sur le durcissement des lois, ce qui est une mesure facile à prendre mais difficile à appliquer. La prévention est lente à se mettre en place. Finalement, il manque ce qui peut réduire efficacement les accidents mortels, à savoir l’amélioration des routes et des services. Mais c’est la plus coûteuse des trois solutions ».

 

Des conducteurs pas ou mal formés


 

Selon l’OMS, neuf accidents sur dix ont pour cause un facteur humain. La formation des conducteurs joue évidemment beaucoup dans leur manque de prudence. En Thaïlande, le permis s’obtient après seulement  5 heures de leçons de conduite et un examen théorique. Dès le 1er janvier 2018, le nombre d’heures de conduite obligatoires triplera pour passer à quinze, et l’examen théorique rendra toute faute éliminatoire.

 

Une mesure saluée mais néanmoins incomplète : les leçons seront toujours données dans un parking, loin du contexte de la vraie circulation. D’autant que la corruption et le laxisme sont aussi monnaie courante dans le Département des Transports. Un certificat médical d’aptitude à la conduite peut s’obtenir ainsi pour 200 bahts et en quelques secondes, à quelques mètres de l’entrée du centre d’examen.  « Nous devons redoubler de rigueur vis-à-vis de la corruption : ceux qui  achètent le permis sans être formés à la conduite représentent un véritable danger », insiste le professeur Kannavee Kanidpong  du Thailand Accident Research Center. Elle prône également la fin de l’attribution du permis à vie et souhaite rendre les visites médicales obligatoires pour les conducteurs âgés.

 

Ces idées de réformes n’ont malheureusement aucun impact sur les usagers qui se passent du permis. Le professeur rappelle ainsi qu’un conducteur de voiture sur cinq en Thaïlande ne possède pas le permis de conduire ; pour les motos, c’est deux sur trois. Cette infraction grave, si elle est menée jusqu’au tribunal – ce qui est rare –, peut coûter jusqu’à 10 000 bahts d’amende (environ 280 €) et trois mois de prison. En France, la conduite sans permis expose à des sanctions allant jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.

 

Par ailleurs, trop peu d’usagers  apprennent à conduire via une auto-école, dont les cours sont payants. L’apprentissage, en particulier dans les milieux ruraux, se fait par un membre de la famille aux habitudes déjà mauvaises : les comportements dangereux sont ainsi transmis de génération en génération. C’est ce que le professeur Kanthong appelle « l’héritage du danger ».

 

A l’inexpérience au volant s’ajoute parfois la fougue de la jeunesse. Un cinquième des  20 millions de motos du royaume seraient pilotées par des moins de vingt ans. Phomin Kanthiya, le président de l’ONG Accident Prevention Network, vise particulièrement les gangs de jeunes adeptes des courses urbaines sur des motos trafiquées ultra-rapides et  regrette que « hormis à Bangkok, où ils font grand bruit dans les médias », la police ne se penche pas suffisamment sur ce phénomène. « La vitesse a toujours été un fantasme chez les jeunes. Pourtant, je pense qu’aujourd’hui la publicité influence et aggrave ce penchant, soupire-t-il. Une publicité sur un nouveau modèle de moto prônera plus la vitesse et la maniabilité que le système de freinage ». Même constat pour les voitures.

 

Victimes innocentes


 

Les enfants subissent eux aussi, et souvent de façon dramatique, les conséquences des mauvais comportements des adultes. Il est ainsi rarissime de voir un casque de protection sur la tête des écoliers que les parents ou les motos-taxis déposent chaque matin, parfois à trois ou plus sur la même moto.

 

Selon l’Accident Prevention Network, 2000 enfants de moins de 14 ans sont tués sur les routes en Thaïlande chaque année, 20 000 sont gravement blessés et 9000 en sortent handicapés à vie. En Thaïlande, les accidents de la route sont la première cause de mortalité infantile chez les 10-14 ans, avec la  noyade. A l’échelle de la planète, ils repré-sentent la première cause de décès chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans.

 

Après la vitesse et l’ivresse au volant, un autre facteur accidentogène est pointé du doigt : la somnolence. Selon le Road Safety Center – qui fait figure de statistiques officielles – l’assoupissement au volant représente 2,9% des accidents mortels. Mais pour le docteur Manoon Leechawengwongs, spécialiste du sommeil, ce chiffre est largement sous-évalué. « Aux Etats-Unis, ce taux grimpe à 20 %… Alors 2,9 %, pensez-vous !, s’agace-t-il. On confond assoupissement et excès de vitesse. Un automobiliste qui s’endort n’a pas le reflexe de freiner ou de faire une embardée avant le choc. En cas de crash, il est souvent mortel ».

 

Or, se méprendre sur les causes, c’est en minimiser certaines. C’est ce que le docteur Leechawengwongs déplore : « Le gouvernement devrait sensibiliser le public sur les dangers de la somnolence au volant, mais aussi renforcer les lois pour mieux encadrer les chauffeurs routiers, les conducteurs de bus, de minivans et les motos-taxis qui conduisent au-delà de la limite autorisée pour gagner plus d’argent ». Le 2 janvier dernier, avant de rentrer de plein fouet dans un pick-up et causer la mort de 25 personnes, le chauffeur du minibus somnolait.

 

En février, c’est une Française et sa fille de 18 ans qui ont été tuées sur une route nationale du sud du pays, après un choc entre leur taxi et un camion qui avait traversé le terre-plein central, probablement après que le chauffeur se soit assoupi. Cet événement, qui a bouleversé la communauté française, vient rappeler que les accidents de la route n’épargnent pas les touristes étrangers. Selon les chiffres du consulat de France, une quinzaine de Français décèdent chaque année dans un accident de la circulation en Thaïlande. « C’est la deuxième cause de décès après les maladies », précise le consul de France à Bangkok Luc Speybrouck, qui déplore l’inconscience des touristes conduisant des motos sans permis et sans casque.

 

Outre l’assoupissement au volant, le docteur estime qu’il existe d’autres raisons trop peu mises en avant. « On ne parle que de la vitesse et de l’ivresse au volant. Mais qu’en est-il des usagers malades ou diminués par des problèmes de vue, souffrant de crises d’épilepsie ; des conducteurs sous l’emprise de la drogue ou sous médicaments ; des distractions telles que la télévision sur le tableau de bord ou le smartphone ? Nos autorités devraient se pencher aussi sur ces facteurs-là ».

 

Une désobéissance civile


 

Pour comprendre pourquoi la Thaïlande dénombre autant de morts sur ses routes, il faut aussi bien cerner le comportement dénué de responsabilité et de civisme de ses usagers. Plus qu’un problème d’infrastructures ou de lois, c’est l’attitude elle-même au volant des Thaïlandais qui pourrait expliquer pourquoi le pays est le plus meurtrier au monde, à l’exception de la Lybie, un pays en ruines. Face à une réécriture du code de la route, dont on peut espérer la mise en place vers juin 2017, l’éditorialiste du Bangkok Post Ploenpote Atthakor s’élève : « Le problème est ailleurs ! Les autorités doivent reconnaître que les accidents ne sont pas causés par un manque de connaissance de la loi, mais en raison d’un manque de respect de celle-ci ».

 

Même constat chez le président de l’Accident Prevention Network : « Les conducteurs sont irréfléchis et négligents, mais pas inconscients. Ils savent bien quelles infractions ils commettent. La preuve : lorsqu’un Thaïlandais conduit en Malaisie ou à Singapour, il respecte le code de la route parce qu’il sait qu’on ne contourne pas la loi dans ces pays, contrairement à la Thaïlande. L’exemple inverse se vérifie : lorsqu’un Malaisien ou un Singapourien conduit en Thaïlande, il commet des infractions ! Cela nous prouve que le problème ne vient pas d’un manque de conscience, mais du non-respect de la loi ».

 

 

Comment expliquer cette désobéissance collective ? Si « la peur du gendarme » n’a aucun effet sur les automobilistes thaïlandais, c’est parce que la police n’est guère exemplaire, estiment certains. A la fois parce qu’elle commet elle-même des infractions, qu’elle est corruptible et qu’elle cultive le sentiment d’injustice en contrôlant moins rigoureusement les voitures de luxe par  exemple.

 

Sur le sujet de la corruption, Veeravit Vijayagukha, le chef adjoint de la police de la route de Bangkok a son explication : « Si des policiers acceptent des bakchichs, c’est parce que des gens les proposent. La société dans son ensemble est à blâmer. Et puis, tous ne sont pas corrompus ». Il reconnaît toutefois que des agents de police transgressent parfois le code de la route, donnant ainsi le mauvais exemple, mais précise que « ces derniers sont soumis et punissables par la loi comme le reste de la population ».

 

Pour lui, le problème vient avant tout d’un manque de civisme au volant. Des mauvais comportements devenus une norme, dans un pays où c’est le chacun pour soi qui prime au volant. Selon Kanviswit Kanthong, la directrice de l’Accident Research Center, l’individualisme « est à la base de la société moderne thaïlandaise. Les usagers n’imaginent pas qu’ils mettent la vie en danger d’autrui. Respecter la loi, c’est même parfois s’exposer au mécontentement des autres… ».

 

Plus que le manque de civisme et l’individualisme, elle évoque dans la « Thaïness » un certain fatalisme inhérent au bouddhisme. « L’idée du Karma rend les Thaïlandais plutôt fatalistes face aux accidents. Si un conducteur dérape et percute un motard, il va se dire que cet accident était une punition pour ses actions antérieures et qu’il était inévitable. Cela peut expliquer pourquoi tant de Thaïlandais  négligent le code de la route, le port du casque ou de la ceinture. »

 

Les milliers de policiers déployés pendant les « 7 most dangerous days » installeront une multitude de barrages et verbaliseront des dizaines de milliers d’usagers pour des infractions diverses. Le chef de la junte Prayut Chan-ocha vient d’utiliser ses pleins pouvoirs pour imposer du jour au lendemain le port obligatoire de la ceinture de sécurité aux passagers arrières et a banni le transport de passagers sur les plateaux des pick-up.

 

Il est hélas à parier que ces mesures  n’empêcheront pas d’afficher un bilan catastrophique, tout comme il est à parier qu’un nouveau code de la route, de nouvelles infrastructures ou des caméras supplémentaires ne changeront guère le problème en profondeur. Tant que les automobilistes garderont le même comportement au volant, la Thaïlande restera sur le podium des pays aux routes les plus meurtrières.

 

Gabriel Bertrand (avec Nilobon Thongkam)  © www.gavroche-thailande.com

 

Photos : © Pascal Quenehenn/Gavroche

 

Article paru dans l’édition du Gavroche d’avril 2017 (N° 270) disponible ici.

 

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